Manuel de sécurité routière
Un manuel pour les praticiens et les décideurs
pour la mise en œuvre d’une infrastructure sûre

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4.6 Système Sûr : les principes scientifiques de sécurité et leur application

L’approche du Système Sûr marque un changement de l’attention à la réduction seule des accidents à l’élimination des décès et des blessures graves, et elle est étayée par des principes de sécurité bien établis, ainsi qu’énoncé au chapitre 2. D’autres principes sont que :

  • La combinaison des caractéristiques de sécurité de l’infrastructure avec celles des véhicules et la vitesse des véhicules impliqués dans un accident déterminent les forces à l’impact auxquelles les humains sont soumis lors de cet accident. Ces interactions doivent être gérées pour éviter des blessures graves ou mortelles.
  • Le niveau de sécurité doit être le déterminant principal pour une mobilité durable. Les vitesses de déplacement doivent être fixées à des niveaux-cibles inférieurs au seuil des vitesses connues pour résulter en énergies d’impact causant des blessures graves ou mortelles (sur la base du niveau de sécurité des véhicules, de la composition du trafic et de la nature des caractéristiques de sécurité passive de l’infrastructure. Voir aussi les Chapitres 4.6.1 et 4.7.2).
  • Typiquement, les approches de Système Sûr visent à développer un système de transport routier plus en mesure d’accommoder l’erreur humaine en fournissant un environnement d’exploitation sûre (malgré la faillibilité humaine) et un système post-accident efficace.
  • Une stratégie d’intervention pour tout le système, abordant toutes les phases d’un accident et tous les éléments d’un Système Sûr, et prenant en compte la sécurité de tous les usagers, doit être adoptée.
  • Des stratégies de législation et de contrôle conduisant à un respect généralisé des lois et des règles de circulation par les usagers sont nécessaires, ainsi que des stratégies encadrant les dispositions d’accès et de sortie des usagers et des véhicules sur le réseau routier.

Développement de l’approche pour un Système Sûr

Comme déjà signalé, l’approche pour un Système Sûr se fonde sur les efforts innovateurs en sécurité routière des Pays-Bas et de la Suède.

L’approche « Sécurité Durable » des Pays-Bas

Wegman & Aarts (2006) définissent un ensemble d’idées directrices considérées comme nécessaires pour parvenir à une sécurité durable de la circulation routière. Ces principes se fondent sur des théories scientifiques et des méthodes de recherche provenant de disciplines variées comprenant la psychologie, la biomécanique et l’ingénierie de la circulation ; ils sont énoncés dans le Tableau 4.4.

TableAU 4.4 : Principes de sécurité durable
Principes de sécurité durableDescription

Functionnalité des routes

Unicité de la fonction de la route : routes de transit, routes distributrices, routes d’accès local, dans un réseau routier hiérarchiquement structuré

Homogénéité de la masse et/ou de la vitesse et de la direction

Egalité de vitesse, direction et masse aux vitesses moyennes et élevées

Prévisibilité de la route et du comportement des usagers grâce à une conception reconnaissable de la route

Un environnement routier et un comportement de l’usager de la route qui correspondent aux attentes de l’usager grâce à la cohérence et la continuité dans la conception de la route

L’environnement qui pardonne et les usagers de la route

Une limite à la gravité des blessures grâce à un environnement routier qui pardonne et à l’anticipation du comportement des usagers

Niveau de conscience de l'usager

Les moyens d’évaluer les capacités de conduite d’un conducteur

L’approche « Vision Zéro » de la Suède

Tingvall (2012) a écrit sur les défis auxquels la Suède se trouve confrontée pour redéfinir des principes de politique de transport reflétant la Vision Zéro (ou l’approche pour un Système Sûr) :

  • Dans les dernières années, la Suède a trouvé une nouvelle manière d’exprimer sa politique de transport. En résumé, celle-ci déclare que « l’accessibilité ne peut être développée que dans le cadre de la sécurité et de l’environnement ».
  • La mobilité et l’accessibilité font la fonctionnalité du système de transport, mais le paramètre sécurité (comme beaucoup d’autres éléments dans une société) n’est pas une variable de l’équation, il a au contraire des limites à ne pas dépasser.
  • Ce changement est progressif. Le nouveau système suédois de limitations de vitesse montre bien comment les états d’esprit changent avec le temps, avec maintenant une vitesse maximum permise de 80 km/h sur les routes sans séparation (sauf en cas de faible volume de circulation), et il est prévu que ceci soit absolu.
  • Obtenir l’acceptation du public est difficile, et la Suède est en train de changer progressivement son approche des vitesses permises, s’agissant de la fixation des limites de vitesse sur les nouvelles routes ou en déterminant les investissements nécessaires pour modifier les routes existantes en vue d’y permettre des vitesses plus élevées, sur la base du nouveau système de limites de vitesse. Ceci permettra de réaliser des gains de sécurité.
  • Les besoins de mobilité seront donc le paramètre décisif pour déterminer l’investissement en infrastructure nécessaire pour parvenir à des vitesses sécuritaires plus élevées. Cela vaut-il la peine d’investir en aménagement de sécurité pour augmenter la mobilité ? Ceci est la bonne question, mais il a fallu de nombreuses années pour que cette logique plutôt naturelle soit finalement comprise et acceptée (Encadré 4.3).

Encadré 4.3 : Le changement fondamental dans la pensée sur la sécurité : la sécurité en tant que limitation à la mobilité est inhérente à l’approche de Système Sûr

  • Approche traditionnelle : les autorités routières se sont efforcées de spécifier la mobilité désirée (vitesse pratiquée) tout en faisant de leur mieux pour améliorer la sécurité sur un tronçon de route.

« Vous pouvez conduire de A à B à 100 km/h et nous améliorerons cette route rurale à deux voies bidirectionnelle pour accroître la sécurité de votre déplacement ».

  • Approche de Système Sûr : parvenir à des déplacements sûrs, en déterminant quelle vitesse peut être adoptée sans risque de décès ou de blessures graves sur ce tronçon de route.

« Vous pouvez conduire de A à B à cette vitesse sûre compte tenu des caractéristiques du réseau routier qui éviteront des blessures graves ou mortelles dans l’éventualité d’un accident. Vous ne pouvez aller plus vite que si la sécurité de l’infrastructure est améliorée ». (Par exemple, giratoires aux intersections, barrières médianes, barrières anti-sortie de route pour protéger des obstacles sur les accotements, etc.).

Comprendre le modèle du Système Sûr

Les éléments qui composent le modèle de Système Sûr sont centrés sur l’être humain en vue d’une utilisation sûre de la route, et leurs interactions sont illustrées dans le Graphique 4.1 ci-dessous.

Graphique 4.1 : Un modèle de l’Approche du Système Sûr Source: Adapté de l’OCDE/ITF, 2008; ATC, 2009.

Ce modèle de Système Sûr se compose de quatre éléments principaux et cinq activités de soutien qui peuvent être adaptées et appliquées en accord avec les quatre éléments principaux pour aider à augmenter la probabilité de survie lors des accidents.

Ces quatre éléments conceptuels principaux sont :

  • Des routes et des accotements sûrs : qui soient prévisibles et « pardonnent » les erreurs, et soient aussi « lisibles », c’est-à-dire que leur conception soit facile à comprendre, encourage la conduite à des vitesses plus sûres et aide à éviter les erreurs.
  • Des vitesses sûres : des vitesses correspondant à la fonction et au niveau de sécurité de la route. Les usagers comprennent et respectent les limites de vitesse, et conduisent en fonction des conditions.
  • Des véhicules sûrs : qui préviennent les accidents et protègent les usagers de la route, y compris les occupants, les piétons et les cyclistes, dans l’éventualité d’un accident.
  • Des usagers sûrs : des usagers de la route alertes et sans facultés affaiblies, qui respectent les règles de circulation, prennent des mesures pour améliorer la sécurité, et exigent et attendent des améliorations de la sécurité.

Les activités clé de soutien au Système Sûr sont :

  • la gestion médicale des interventions d’urgence pour les soins post-accident (le cinquième pilier de la Décennie d’Action des Nations Unies),
  • la compréhension des accidents sur le réseau, ce qui requiert de bonnes données permettant une identification précise des risques sur les divers tronçons du réseau,
  • le contrôle de l’accès à la conduite sur le réseau routier (au moyen de dispositions de permis de conduire comportant un accès graduel à la conduite),
  • une législation efficace soutenue par les contrôles de police et la justice,
  • l’information et l’éducation du public.

Ces trois derniers points aident à obtenir un respect généralisé des règles de circulation.

En résumé, en ce qui concerne les usagers alertes et respectueux des règles, une combinaison de caractéristiques de sécurité des véhicules et de l’infrastructure, de limites de vitesse et de soins d’urgence médicale post-accident efficaces est nécessaire pour éviter les conséquences fatales ou les blessures graves causant une invalidité dans l’éventualité d’un accident.

Le rôle critique de la vitesse pour parvenir au Système Sûr

La vitesse est une variable critique dans le Système Sûr, et les vitesses sûres permises sur n’importe quel tronçon du réseau dépendent des types de véhicule (et de leurs dispositifs de protection), de la sécurité passive de l’infrastructure et des abords de route, des restrictions d’accès à la route principale, et de la présence d’usagers vulnérables de la route. Tous ces facteurs détermineront la vitesse maximum des véhicules sur chaque tronçon du réseau, au-delà de laquelle la probabilité de décès résultant d’une collision est inacceptable.

Vitesse moyenne et risque d’accident

Le résultat des accidents, et plus particulièrement les accidents mortels, sont directement liés à la vitesse des véhicules au moment de l’impact.

Elvik et al (2004) rapportent que « il a été démontré que la vitesse à un effet très important sur la sécurité routière, probablement plus important que n’importe quel autre facteur de risque connu. La vitesse est un facteur de risque dans absolument tous les accidents, depuis les petits accrochages jusqu’aux accidents mortels. L’effet de la vitesse est plus important dans les accidents mortels ou causant des blessures graves que dans les accidents ne causant que des dommages matériels. Si le gouvernement souhaite développer un système de transport routier dans lequel personne n’est tué ou gravement blessé, la vitesse est le plus important facteur à réguler ».

Le Tableau 4.5 extrait d’Elvik et al, (2004) montre les effets d’une variation de la vitesse moyenne sur les accidents de divers degrés de gravité. Cette relation de changement relatif s’applique à tous les tronçons de route, sur des périodes de temps comparables, et se réfère aux effets d’un changement de la vitesse moyenne de déplacement de tous les véhicules.

TableAU 4.5 : Changement dans les accidents résultant d'un changement de la vitesse - Source: Adapté de Elvik et al. (2004)
 Changement relatif (%) dans le nombre d'accidents ou de victimes
Changement de la vitesse moyenne (%)-15%-10%-5%+5%+10%+15%
Accident ou gravité de la blessure      

Décès

-52

-38

-21

+25

+54

+88

Blessures graves

-39

-27

-14

+16

+33

+52

Blessures sans gravité

-22

-15

-7

+8

+15

+23

Tous les usagers de la route blessés

-35

-25

-13

+14

+29

+46

Accidents mortels

-44

-32

-17

+19

+41

+65

Accidents causant des blessures graves

-32

-22

-12

+12

+25

+40

Accidents causant des blessures sans gravité

-18

-12

-6

+6

+12

+18

Tous les accidents causant tous types de blessures

-28

-19

-10

+10

+21

+32

Accidents ne causant que des dommages matériels

-15

-10

-5

+5

+10

+15

Source: Adapté de Elvik et al. (2004)

Les accidents mortels sont le type d’accident le plus affecté par une variation de la vitesse. Le tableau ci-dessus montre que même les légers changements de vitesse (+5 %) sont associés à d’amples variations du nombre de décès dus aux accidents de la route (+25%).

Influencer le niveau des énergies cinétiques lors des accidents

Comme indiqué dans les principes de sécurité exposés ci-dessus, une manière importante de réduire les accidents causant des blessures mortelles ou graves est de mieux gérer l’énergie de l’impact lors des accidents, de telle sorte qu’aucun usager de la route ne soit exposé à des forces d’impact résultant probablement en un décès ou des blessures graves.

Les conditions qui favorisent le maintien de l’énergie à l’impact à des niveaux inférieurs à ceux causant des décès ou des blessures graves sont mieux en mieux comprises, bien que, dans la plupart des pays, elles ne soient pas encore reconnues ou appliquées à tout le réseau.

Une stratégie clé est donc d’avancer (avec le temps) pour installer des limites de vitesse suivant le niveau de protection offert par l’infrastructure routière existante (ou améliorée) et par les véhicules, et selon la mixité de la circulation sur les tronçons du réseau.

La mobilité doit être limitée par le respect des exigences du Système Sûr. Des investissements pour sécuriser les infrastructures seront souvent nécessaires avant de pouvoir envisager une élévation des limites de vitesse sur certains tronçons du réseau, afin d’éviter une augmentation des décès ou des blessures graves (Encadré 4.4).

 

Encadré 4.4 : Une approche alternative dans la conception de ‘infrastructure routière

Tingvall (2005) note que si antérieurement la conception de l’infrastructure se fondait sur la prévention des accidents, la philosophie alternative actuelle du Système Sûr se fonde au contraire sur la gestion de l’énergie cinétique et la prévention des blessures (prévention secondaire plutôt que prévention primaire). Désormais, la vitesse est associée aux conséquences d’un incident ou d’un accident plus que la capacité du conducteur à contrôler son véhicule. Ceci a amené un usage plus extensif des accotements et des barrières médianes ainsi que le réaménagement des intersections avec l’introduction de carrefours giratoires, et un meilleur contrôle des accès à la route (et leur développement). Dans ces exemples, il est possible que le nombre des accidents augmente, mais leurs conséquences sont contrôlées de telle manière que la tolérance humaine aux blessures graves ne soit pas dépassée.

 

McInerney & Turner (sous presse) signalent que le sujet de la gestion du transfert d’énergie et des forces associées est abordé actuellement dans les domaines de l’ingénierie des structures pour les immeubles et de l’ingénierie mécanique pour les machines, mais se rencontre rarement dans la conception des routes. Pour que l’infrastructure fournisse les éléments de base principaux pour un Système Sûr, la pratique de la conception des routes dans le monde doit inclure des dispositions pour la gestion de l’énergie cinétique.

Références

No reference sources found.