Manuel de sécurité routière
Un manuel pour les praticiens et les décideurs
pour la mise en œuvre d’une infrastructure sûre

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5.6 Analyse et utilisation des données pour améliorer la sécurité

Les données sur les accidents peuvent être extrêmement utiles pour un ensemble d’agences et de personnes :

  • les ingénieurs routiers : pour l’identification, l’analyse et le traitement des risques existants, et la prévention des risques futurs,
  • les décideurs politiques : au niveau local, régional et national pour l’établissement de cibles de réduction du nombre des accidents, pour développer des plans d’action en matière de sécurité routière, et pour assurer le suivi des résultats,
  • la police : pour l’identification des sites et des heures problématiques aux fins d’application des règles de circulation,
  • le secteur de la santé : pour la planification des ressources, la surveillance des blessures, la promotion de la santé et les interventions de prévention des blessures,
  • la communauté des chercheurs : pour les études préventives et pour tester et améliorer l’efficacité des traitements pour la sécurité routière,
  • les compagnies d’assurance : pour établir les taux et les primes d’assurance,
  • les fabricants de véhicules : pour le développement de véhicules plus sûrs,
  • les tribunaux : pour l’utilisation des données comme preuves.

Le chapitre suivant s’intéresse à la disponibilité des données sur les accidents, aux différents usagers, et aux efforts coopératifs internationaux actuels visant à améliorer ces données.

Disponibilité des données sur les accidents

Selon l’OMS, des méthodes appropriées de partage des données avec chaque agence qui le demande devraient être mises en place, au moyen de rapports statistiques, de bulletins d’information, de sites Internet et d’ateliers de travail (OMS, 2010). Un excellent moyen de diffuser les données sur les accidents, si le financement est disponible, est une base de données publique et interrogeable en ligne, qui peut offrir des rapports personnalisés selon le lieu de l’accident, le type de blessures ou autres caractéristiques (OMS, 2010). L’Encadré 5.12 donne un exemple d’un tel système.

Encadré 5.12 : Accès Internet à CrashMap, la base de données sur les accidents du Royaume-Uni

CrashMap (www.crashmap.co.uk ) est un outil en ligne, ouvert au public permettant des recherches sur les accidents (par gravité) pour savoir où et quand ils sont survenus. Les utilisateurs peuvent décider d’inclure tous les types d’accidents graves dans leur recherche, ou la limiter aux accidents impliquant des motocyclistes, des cyclistes, des piétons, ou des enfants. Les résultats de la recherche montrent une carte des lieux des accidents, marquée de repères en couleur indiquant le degré de gravité. Alternativement, les repères peuvent être d’une seule couleur mais montrer un chiffre supérieur à 1, indiquant que de multiples rapports d’accident existent pour un emplacement particulier. Chaque repère fournit une vue générale des circonstances de l’accident, y compris sa date, sa gravité, et le nombre de véhicules et de victimes impliqués. Souscrire au site permet des recherches encore plus détaillées sur les accidents pour un coût minime, lequel finance la tenue à jour du service.

 

Les médias sont une autre méthode efficace de diffusion des données, et peuvent agir en influençant les opinions publiques et politiques.

Il est important de garder à l’esprit qu’indépendamment de la méthode de diffusion, les responsables des données sur les accidents ont aussi la responsabilité de protéger la vie privée des personnes impliquées. L’OMS (2010) a décrit les démarches nécessaires à cette fin.

Utilisation des données de sécurité routière

Promotion et défense de la cause

Les données peuvent être utilisées pour accroître la prise de conscience de certains problèmes particuliers au regard de la sécurité routière, et servir pour attirer l’appui à certains programmes, politiques ou l’affectation de ressources (OMS, 2010). Les activités usuelles de plaidoyer ou défense de la cause sont les ateliers de travail, les reportages et les campagnes d’information. Le plaidoyer ou la promotion de la cause sont importants pour la sécurité routière, pour dégager des sources de financement et le soutien du public. Il convient de noter que tout matériel pour la défense ou promotion de la cause doit prendre en compte l’audience sélectionnée et le contexte de la recommandation ou cause défendue pour avoir l’effet désiré. L’OMS (2010) donne des conseils à l’intention des décideurs politiques pour le développement de messages de promotion. L'Encadré 5.13 montre l’utilisation des données de sécurité routière aux fins de plaidoyer et promotion de la cause au Cambodge.

Encadré 5.13 : Étude de cas : Rapport résumé du système RCVIS au Cambodge

Le problème : en dépit de l’existence d’une base de données bien développée pour l’analyse des accidents de la route, l’information capitale n’était pas transmise aux parties prenantes concernées.

La solution : reconnaissant que des rapports trop longs ne sont probablement pas lus par les gestionnaires et politiciens de haut niveau, le Comité national sur la Sécurité routière du Cambodge a passé en revue les rapports du système de données sur les accidents. Un rapport résumé est maintenant préparé en plus des rapports détaillés. Il contient les titres principaux de l’analyse sur les conséquences des accidents, ainsi que des graphiques, tableaux et cartes claires et faciles à interpréter, pouvant être rapidement lus et compris. Cette information résumée est particulièrement utile aux fins de défense et de promotion de la cause, et pour informer les hautes autorités sur les problèmes critiques. Les rapports détaillés restent à la disposition des intéressés (par exemple, les personnels techniques).

 

Les résultats : l’information est présentée de différentes manières en fonction des besoins de l’utilisateur final, ce qui la rend désormais plus accessible aux principales parties prenantes.

 

Identifier les problèmes de sécurité routière

Les utilisateurs les plus courants des bases de données fondées sur l’information de la police sont les ingénieurs routiers, pour leurs travaux sur la sécurité. Les données sur les accidents sont utilisées pour identifier les sites à haut risque d’accident et si possible les facteurs de risque propres à ces sites. Ceci est expliqué plus en détail au Chapitre 10.

Pour identifier des sites à haut risque d’accidents, des groupes ciblés ou des facteurs particuliers de risque, les décideurs utilisent les données sur les accidents pour évaluer le problème, en termes des comptages, de la gravité, des tendances et des coûts des blessures (OMS, 2010). Il est donc important que ces professionnels aient accès aux caractéristiques des accidents telles que la tranche d’âge, le type d’accident et la catégorie d’usagers de la route, afin de pouvoir prendre des décisions éclairées quant à la priorité à donner aux problèmes à haut risque et aux solutions pouvant être efficacement mises en œuvre.

La police peut aussi utiliser ses données pour cibler ses opérations de contrôle du respect des règles de circulation sur un problème ou un site particulier. Il est important que la police reçoive un retour d’information régulier, afin qu’elle puisse constater l’impact de ses efforts de recueil de données et d’application des règles de circulation (OMS, 2010).

Suivre et évaluer les résultats des initiatives

Les données sur les accidents sont essentielles pour évaluer les nouveaux traitements et les politiques. Les évaluations fournissent une base de connaissances sur l’efficacité d’un traitement donné, et permettent d’assurer que les programmes actuels produisent les résultats attendus et désirés.

Les nouvelles analyses peuvent renforcer l’efficacité connue d’une initiative, au moyen par exemple du développement de facteurs modificateurs des accidents (FMAs). Le Chapitre 12 offre plus d’information sur le suivi et l’évaluation des contremesures de sécurité routière, y compris l’efficacité des traitements et le développement de FMAs.

Collaboration régionale et internationale

La coopération internationale est essentielle pour la coordination et la comparaison. L’évaluation internationale peut aider à identifier et suivre les problèmes de sécurité routière, et à estimer l’efficacité de toute méthode mise en œuvre à grande échelle. La comparaison des résultats de la sécurité routière (avec d’autres pays, régions, villes, etc. similaires) peut conduire à l’identification de problèmes devant être abordés. Il est important de noter que ceci n’est pas réalisable sans une cohérence entre les définitions des champs. La coordination aide aussi les pays et les gouvernements à améliorer leurs systèmes de collecte et la qualité des données de sécurité routière (Encadré 5.14).

Encadré 5.14 : La base internationale de données sur la circulation et les accidents de la route (IRTAD)

Figure 5.8 - Source: OECD/ITF, (2014).

En 1988, l’Organisation pour la Coopération et le Développement économique (OCDE) a établi la base internationale de données sur la circulation et les accidents de la route (IRTAD), qui contient des données pour plus de 30 pays, qui sont continuellement mises à jour et analysées pour en extraire des tendances. Cette base de données contient des informations sur la gravité des accidents, les catégories d’usagers de la route et leur âge, et aussi des détails pertinents tels que la population, la composition du parc des véhicules, la longueur du réseau routier, et les taux de port de la ceinture de sécurité. Ceci a permis des comparaisons très utiles entre les taux de décès des pays (par exemple, taux de décès routiers par 100 000 habitants). Le Groupe de l’IRTAD est un groupe de travail composé de statisticiens et d’experts en sécurité routière du monde entier. Son objectif principal est de contribuer à la coopération internationale en matière de collecte et d’analyse des données de sécurité routière. Ceci se fait à travers : 1) l’échange d’information sur les données recueillies, les systèmes de déclaration et les tendances dans les politiques, la recherche et les publications sur des problèmes critiques et émergeants en matière de sécurité routière, et 2) l’apport de conseils sur des questions spécifiques de sécurité routière aux pays membres. Le Groupe de l’IRTAD est également chargé du développement du réseau IRTAD et de la couverture de la base de données, de programmes de jumelage pour aider les PRFIs à améliorer leurs systèmes de collecte et de déclaration des données, de la Conférence de l’IRTAD, et de la publication du rapport annuel. Il produit aussi des définitions normalisées et des méthodologies de comparaison (par exemple, définition de la gravité des accidents et des blessures).

 

Dans le cadre de sa stratégie de sensibilisation dans les PRFI, l’IRTAD a lancé un programme de jumelage et travaille avec plusieurs organisations pour aider les PRFIs à améliorer leurs méthodes pour le recueil de données, l’établissement et la gestion de bases de données sur les accidents de la route. Il existe plusieurs de ces accords, comme les programmes de jumelage entre le Cambodge et les Pays-Bas, la Jamaïque et le Royaume-Uni, l’Argentine et l’Espagne ; d’autres partenariats sont en cours de développement. L’étude de cas de l’Encadré 5.15 renseigne sur l’accord de jumelage entre l’Argentine et l’Espagne, l’Encadré 5.16 offre plus de détails sur un observatoire régional en Amérique Latine.

ENCADRÉ 5.15 : ÉTUDE DE CAS : ACCORD DE JUMELAGE ENTRE L’ARGENTINE ET L’ESPAGNE

Le problème : le manque d’information fiable et exhaustive sur les accidents au niveau national en Argentine.

La solution : en Avril 2010, la Banque mondiale a fourni le financement pour l’établissement d’un jumelage entre l’Argentine et l’Espagne, en lien avec l’IRTAD. L’Espagne a assisté l’Argentine dans l’amélioration de son système de recueil et d’analyse des données, en vue d’aider l’Agence nationale pour la Sécurité routière (ANSV, Agencia Nacional para la Seguridad Vial), l’agence chef de file en Argentine, à devenir un membre de l’IRTAD.

Le programme de jumelage impliquait des voyages d’étude en Espagne et l’apport de conseils sur la gestion des interventions en sécurité routière. L’aspect principal du programme était l’assistance au développement d’un système national, exhaustif et cohérent, de gestion des données sur les accidents. Le programme comprenait aussi la formation de praticiens dans toutes les juridictions, aux niveaux municipal, provincial et national, afin d’assurer une qualité et une analyse normalisées des données dans la préparation des diagnostics et des rapports.

Les résultats : grâce au développement d’une base de données nationale sur les accidents, les données de toutes les juridictions ont été recueillies au moyen d’un formulaire normalisé, afin de permettre l’inclusion de la base de données de l’ANSV dans le Groupe IRTAD. Le programme de jumelage a aussi créé l’accès au conseil d’experts, à l’information technique et à des méthodologies de recherche. Le succès du programme de jumelage a permis l’inclusion de l’Argentine dans la base de données IRTAD, ainsi qu’une coopération plus large en Amérique Latine, ce qui, à son tour, a conduit à la création de l’Observatoire latino-américain de la sécurité routière (OISEVI).

ENCADRÉ 5.16 : L’OBSERVATOIRE LATINO-AMÉRICAIN DE LA SÉCURITÉ ROUTIÈRE (OISEVI)

Le problème : le manque de capacité régionale pour collecter et analyser les données de sécurité routière.

La solution : le jumelage réussi entre l’Espagne et l’Argentine a eu pour effet l’établissement d’une coopération plus large entre des pays de l’Amérique latine et de la région caribéenne, baptisée l’Observatoire latino-américain de la sécurité routière (OISEVI).

Cet Observatoire a été créé en 2011 ; 18 pays s’y sont joints dans le but de partager les connaissances et les meilleures pratiques en matière de planification et d’établissement de politiques. L’objectif principal de l’OISEVI est de partager l’information sur la sécurité routière, en particulier les meilleures pratiques en formulation de politiques, planification, stratégies et gestion des données en matière de sécurité routière. L’Observatoire vise aussi à améliorer l’expertise et le partage des connaissances entre les praticiens de la sécurité routière, et à améliorer les résultats de celle-ci en Amérique latine.

L’OISEVI est soutenu par une base régionale de données sur la sécurité routière (hébergée par l’OCDE/ITF) fondée sur le modèle IRTAD, et destinée à aider les pays de l’Amérique latine et des Caraïbes. Cette base de données utilise les mêmes définitions et pratiques de déclaration normalisées que le système central IRTAD, et a pour raison d’être des améliorations progressives dans la qualité des données, au fil des ans. Au vu du succès de ce modèle, l’OCDE/ITF explore les opportunités de reproduire cette approche dans d’autres régions du monde.

La base de données IRTAD LAC est une sorte de base de données « miroir », qui a la même structure que la base principale de données IRTAD, et est fondée sur la même enquête. La principale différence est qu’elle est un outil d’apprentissage, dans lequel les pays peuvent inclure leurs données nationales, même si elles sont incomplètes ou fondées sur des estimations. IRTAD LAC leur permet de se familiariser avec les exigences de l’IRTAD, de s’adapter aux méthodes de recueil de l’IRTAD (si nécessaire), et de se comparer avec les pays voisins. Une fois que les données sont consolidées et plus complètes, elles sont examinées par le Groupe de l’IRTAD en vue de leur inclusion dans sa base de données principale.

Les résultats : l’Observatoire a produit trois rapports annuels consolidant les données régionales de sécurité routière. Des conférences techniques ont aussi été tenues sur des sujets pertinents à leur région (par exemple, un atelier de travail sur la sécurité des motocyclettes). Les données de la ligne de référence ont été recueillies pour analyser les changements de comportement (sur la route) dans des pays pilotes. Les données ont été recueillies au moyen d’enquêtes d’observation sur les facteurs de risque d’accidents, tels que le non-port de la ceinture de sécurité, la distraction du conducteur, l’usage ou non de systèmes de retenue pour enfants, et la conduite en état d’ivresse.

 

L’Encadré 5.17 est consacré à la déclaration de l’IRTAD/OISEVI de Buenos Aires, Argentine, pour de meilleures données en vue de meilleurs résultats de sécurité routière.

Encadré 5.17 : la Déclaration de Buenos Aires

En novembre 2013, 40 pays se sont joints à la Conférence IRTAD/OISEVI à Buenos Aires. La réunion a conduit à l’approbation de 12 recommandations en vue de meilleures données de sécurité routière pour de meilleurs résultats dans ce domaine :

  • Des données fiables sur les accidents, leur contexte et l’exposition au risque sont essentielles pour comprendre les problèmes de sécurité routière, fixer des objectifs et mettre en œuvre des politiques efficaces.
  • Un ensemble minimum de données est nécessaire, en particulier :

des données factuelles (incluant le nombre de victimes tuées ou blessées par catégories d’usagers de la route, la date et l’heure de l’accident, etc.),

des données au niveau des produits (y compris des indicateurs de performance) et

des données contextuelles (y compris les données sur l’exposition au risque, telles que population, nombre de véhicules, distances parcourues).

  • Les données sur la sécurité routière devraient être agrégées au niveau national.
  • Un observatoire de la sécurité routière, sous la direction d’une agence de sécurité routière ou d’un ministère chef de file, est un bon cadre institutionnel pour élever le profil de la sécurité routière.
  • Le suivi et l’analyse réguliers des principaux facteurs de risque en matière de sécurité routière devraient être assurés.
  • La communauté internationale devrait établir une harmonisation des données.
  • L’information sur les accidents causant des blessures est essentielle pour un tableau plus complet de la sécurité routière, et la liste type des blessures MAIS3+ devrait être utilisée pour définir une « victime d’accident gravement blessée ».
  • Les données de la police resteront la source d’information principale pour les statistiques de sécurité routière, mais elles devraient être consolidées par celles des hôpitaux.
  • La comparaison entre les pays est une manière utile de générer des améliorations et de tirer des leçons de celles-ci.

Le site Internet suivant offre plus de détail : http://www.internationaltransportforum.org/jtrc/safety/Buenos-Aires-Declaration.html

En Europe, la base centralisée de données CARE (Community Road Accident Database – Base commune de Données sur les Accidents) est hébergée par la Commission européenne et contient des informations sur les accidents mortels et avec blessés. Les détails sur les accidents individuels sont conservés (c’est-à-dire que cette information n’est pas combinée), ce qui permet une analyse plus poussée. Un protocole de collecte des données a été développé, avec des variables communes spécifiées. La raison d’être de cette base de données est de rassembler les éléments permettant de :

  • identifier et quantifier les problèmes de sécurité sur les routes de l’Europe,
  • évaluer les mesures en matière de sécurité routière,
  • déterminer l’impact des actions et
  • partager l’expérience.

 

Le site Internet de la Commission européenne offre plus d’information sur CARE :

(http://ec.europa.eu/transport/road_safety/index_en.htm ).

 

Références

No reference sources found.