Manuel de sécurité routière
Un manuel pour les praticiens et les décideurs
pour la mise en œuvre d’une infrastructure sûre
8.2 Concevoir un système sûr
Le Paragraphe 4.7.2 traite de la relation entre la vitesse de déplacement et la capacité de survivre aux accidents. Le Système Sûr est fondé sur ce concept fondamental, et plus particulièrement sur celui des vitesses auxquelles les usagers de la route ont peu de chance de survivre à une collision. La vitesse à laquelle il est possible de survivre varie selon le type de collision (voir le Chapitre 4). Certains aspects clés de la conception d’un Système Sûr proviennent directement de cette relation.
Comme déjà signalé au Chapitre 8.1, les usagers se déplaçant sur des routes conçues en tenant compte des caractéristiques et limites humaines éviteront beaucoup d’erreurs qui causent les collisions, mais pas toutes. Quitter la route et entrer en collision avec une barrière ou un poteau électrique ne devrait pas avoir pour conséquence le décès ou des blessures graves, tant que la vitesse du véhicule au moment du choc est raisonnablement proche de la vitesse pour laquelle la route a été conçue. Ceci ne vaudra pas si la vitesse est très supérieure. La gestion de la vitesse est donc d’importance capitale pour parvenir à un Système Sûr. Puisque la vitesse du véhicule se trouve habituellement sous le contrôle direct et immédiat du conducteur, il est essentiel que les usagers disposent de signaux clairs sur le type d’environnement routier dans lequel ils se déplacent, renforcés par des informations spécifiques aux points appropriés.
Ces exigences sont largement couvertes par le concept de routes « lisibles », examiné au Paragraphe 8.2.4.
Des messages exprimant les exigences réglementaires, les avertissements de dangers, les indications de direction et autres informations utiles peuvent être transmis aux conducteurs et autres usagers de la route de plusieurs manières, parmi lesquelles :
Le guide HFPSP de l’AIPCR cité au Paragraphe 8.1 présente des solutions pour améliorer le marquage ou la signalisation par panneaux en tant que possibles traitements pour les trois catégories d’exigences principales énoncées ci-dessus, habituellement comme mesure corrective pour résoudre un problème de façon satisfaisante ou en tant qu’avertissement pour indiquer une situation potentiellement dangereuse. Il est essentiel que les facteurs humains soient pris en compte dans la conception et la mise en œuvre de ces traitements. Les principaux facteurs à considérer sont :
Il est à noter que le Système Sûr ne se créé pas de la seule communication avec les usagers de la route. Cependant, des indications claires sur les actions attendues des conducteurs, en particulier les limites de vitesse et des avertissements clairs sur les dangers possibles, peuvent grandement contribuer à réduire le nombre d’accidents et à réduire la gravité de ceux qui se produisent. De ce fait, les facteurs humains sont un élément important pour parvenir à l’établissement du Système Sûr, et contribuent aussi à réduire les accidents sur les systèmes routiers qui ne satisfont pas aux exigences du Système Sûr.
La division physique de la route est nécessaire là où les vitesses permises excèdent le seuil de survie possible pour une catégorie particulière d’usagers. Au-delà de 30 km/h, il est essentiel de séparer les piétons du trafic motorisé. Ceci peut se faire au moyen d’une allée piétonnière surélevée le long de la route et de passages piétons à intervalles adéquats, qui peuvent ne pas requérir de signalisation si les vitesses ou les volumes de circulation sont faibles. Dans le cas contraire, ils devraient obligatoirement être signalisés pour assurer aux piétons une opportunité suffisante de traverser la route et, dans les situations à grande vitesse, pour réduire les risques de collision aux graves conséquences.
Les principes du Système Sûr exigent que les routes soient conçues pour éliminer les possibilités d’usagers tués ou blessés. À la vitesse de 50 km/h et au-delà, les impacts latéraux ne permettent généralement pas la survie, et le respect des principes du Système Sûr exige donc qu’à ces vitesses, les mouvements de traversée de la circulation soient contrôlés (par exemple par des carrefours giratoires). S’il n’est pas possible ou pratique de satisfaire à ces exigences, des solutions sont à considérer pour éliminer au maximum les risques d’impacts latéraux dans les environnements permettant des vitesses de 50 km/h et plus.
Les collisions frontales permettent généralement la survie jusqu’à des vitesses de 70 km/h, et les exigences du Système Sûr requièrent donc qu’au-delà de ces vitesses, des mesures soient prises pour diviser ou séparer les flux opposés de circulation, comme par exemple des barrières médianes.
Pour les routes à grande vitesse, la séparation complète est nécessaire, au moyen de barrières médianes, de carrefours dénivelés, de l’exclusion du trafic lent, des clôtures et des barrières pour exclure les piétons. La vitesse maximum permise sur ces routes conçues selon les normes les plus élevées varie d’un pays à l’autre, généralement de 100 à 130 km/h.
Il est bien connu que les différences des normes applicables à différents types de routes ont pour résultat des niveaux différents de victimes, bien que des données sur ce point restent peu disponibles. Le Graphique 8.3 se fonde sur une analyse exhaustive des accidents mortels et graves et des données de circulation au Royaume-Uni (Lynam & Lawson, 2005).
Ce Graphique suggère que :
Plus la catégorie de la route s’approche des principes du Système Sûr, et moindres sont les occasions d’erreurs de la part des conducteurs, d’où un taux d’accidents plus faible. Lorsque les voies de circulation sont séparées, comme dans le cas des autoroutes et des voies rapides, les collisions frontales sont pratiquement éliminées ; elles sont le second type le plus fréquent d’accidents sur les chaussées uniques. Les accidents impliquant des usagers vulnérables sont également très rares sur les autoroutes, lesquelles excluent les piétons et les cyclistes. Les accidents aux intersections sont la catégorie la plus fréquente d’accidents sur les routes à chaussées uniques ou séparées, et la deuxième plus fréquente sur les autoroutes, en dépit du fait que la conception de celles-ci assure que les mouvements de circulation à l’entrée et à la sortie de l’autoroute soient contrôlés par des panneaux de signalisation et des rampes délimitées. Les interférences de circulation entre voies en conflit est une situation très exigeante, dans laquelle les nombreuses possibilités d’erreurs du conducteur sont la cause d’un taux relativement élevé d’accidents. Les autoroutes et les voies rapides ne fournissent pas de protection spécifique contre les collisions arrières, sauf peut-être des voies additionnelles pour manœuvrer.
Les trois paragraphes suivants donnent des exemples dans lesquels la séparation a eu pour résultat la réduction de certains types d’accidents sur lesquels repose la philosophie du Système Sûr.
Entre 2002 et 2008, quelque 1 800 km de routes « libres de collision » ont été ouvertes à la circulation sur le réseau routier suédois, grâce à l’usage de barrières à câble métallique séparant les flux de circulation (Carlsson, 2009). Presque tous les tronçons de route avaient la même configuration 2 + 1, c’est-à-dire deux voies en direction A et une voie en direction B, alternant avec une voie en direction A et deux voies en direction B. Ces routes ne sont pas totalement libres de collisions, parce que celles-ci restent possibles et parfois se produisent avec des véhicules accédant à la route, des véhicules situés devant, ou des objets sur les accotements (y compris les barrières à câble métallique). Néanmoins, les résultats sont impressionnants. Les blessures graves et mortelles ont fait l’objet de suivi sur environ 1 300 km du réseau, ce qui a montré une réduction de presque 57%. Les blessures graves et mortelles impliquant des motocyclistes ont baissé de 40 à 50%, et celles impliquant des usagers vulnérables (piétons, cyclistes et cyclomoteurs) ont baissé de 90%. Le taux de décès sur les routes 2 + 1 était équivalent à celui des routes construites selon les normes autoroutières. L’étude de cas du Chapitre 11.2 fournit plus de détail sur cette approche.
Jusqu’à maintenant, les preuves de l’efficacité des barrières flexibles ne se fondent que sur l’expérience dans les PREs, mais il est logique de supposer, si elles sont correctement installées, que ces barrières sont tout aussi efficaces pour réduire les accidents véhicule contre véhicule et les sorties de route dans les PRFIS, et qu’elles auraient un rôle à jouer pour décourager les piétons d’accéder à la chaussée et aussi pour les protéger en bord de chaussée.
Bien que les déplacements sur les routes divisées soient plus sûrs, diviser une route peut aussi diviser les communautés qu’elle traverse. Une circulation dense et des vitesses élevées, combinées avec une barrière médiane, rendent plus difficile pour les usagers non motorisés la traversée de la route. Si une nouvelle route traverse un village, ou si une route existante à travers un village est divisée, les connections commerciales et sociales entre les communautés des deux côtés de la route seront fortement réduites, et à moins que des dispositions satisfaisantes ne soient prises pour les protéger, les individus qui continueront de traverser la route courront de grands risques dus à la circulation à vitesse élevée dans un environnement où les conducteurs ne s’attendent pas à la présence de piétons.
Il est préférable d’éviter cette situation autant que possible en concevant des routes contournant les zones urbanisées au lieu de les traverser. Cependant, si cela n’est pas possible, des passerelles surélevées ou d’autres formes de saut-de-mouton devraient être installées pour permettre aux piétons de traverser. D’autres traitements d’appui tels que clôtures ou rampes peuvent être utilisés pour encourager les piétons à utiliser les passerelles.
Selon l’Administration fédérale des Routes des États-Unis (FHWA, 2010), l’aménagement d’allées piétonnières le long des deux côtés de la route réduit le nombre des accidents « en marchant le long de la route » de 88%. De même, l’aménagement d’accotements asphaltés ou dallés de plus de 1,2m de large réduit ce type d’accidents de 71%. Il est à noter que si les allées piétonnières réduisent efficacement les accidents piétonniers, ce type d’accidents est relativement inhabituel dans les PRE, où ils impliquent la traversée de la route plutôt que de la longer à pied. L’aménagement d’allées piétonnières surélevées ou autrement séparées permet d’atteindre un résultat du Système Sûr, ce qui est particulièrement important dans les PRFIs où les conducteurs de voitures et de motocyclettes utilisent fréquemment l’accotement comme une voie supplémentaire de circulation.
L’expérience de la Malaisie, résumée dans APEC (2011), a montré que des voies réservées aux motocyclettes pour les séparer des autres véhicules sont un moyen très efficace de réduction des accidents de motocyclettes. Une étude de Radin Umar et al, 1995, a conclu que l’installation d’une voie réservée aux motocyclettes le long d’un tronçon de route principale réduisait les accidents de 34%. Une plus ample évaluation postérieure sur la même route a noté une réduction de 39% de ces accidents (Radin Umar et al, 2000). Cette étude a conclu que les voies réservées aux motocyclettes sont un grand bénéfice là où les volumes de circulation sont supérieurs à 15 000 véhicules par jour et où les motocyclettes représentent de 20 à 30% de ce volume de circulation.
Les premières conceptions de voies réservées aux motocyclettes en Malaisie étaient basées sur celle des pistes cyclables (Tung et al, 2008), et comportaient des glissières de sécurité conçues pour protéger les cyclistes allant à basse vitesse des véhicules motorisés qui avaient quitté la chaussée. Cependant, ces glissières de sécurité conçues pour protéger les cyclistes des véhicules motorisés en sortie de route étaient associées à près de 25% des accidents mortels survenus à des motocyclistes entrant en collision avec des objets sur les accotements, et augmentaient donc le risque de blessures graves pour cette catégorie d’usagers. Ceci suggère que la mise en place de glissières de sécurité pour les voies réservées aux motocyclistes doit être considérée avec soin.
Il a aussi été conclu que les normes de largeur des pistes cyclables étaient inadéquates pour les voies réservées aux motocyclistes. Hussain et al ont observé en 2005 les distances de séparation préférées par les motocyclistes et ont conclu que la largeur nécessaire pour une motocyclette était d’environ 1,3 m, et que le dépassement d’une moto par une autre était peu probable si la largeur de la voie était inférieure à 1,7 m.
Dans les dernières années, gérer la vitesse en agissant sur l’infrastructure de la route a évolué considérablement, mais n’a pas encore été appliqué de manière généralisée sur le réseau routier. Pour quelque temps encore, le contrôle policier des limites de vitesse restera donc essentiel pour restreindre les déplacements à des vitesses dangereuses.
Pour restreindre les vitesses au niveau maximum désiré, les ingénieurs routiers disposent actuellement des techniques suivantes.
« Modération de la circulation » est le terme général utilisé pour les techniques d’ingénierie encourageant des vitesses plus faibles, et inclut désormais une variété de traitements bien documentés. Le site Internet de l’Institut des Ingénieurs en Transport (Institute of Transportation Engineers, ITE, 2013) offre un panorama complet des mesures de modération de la circulation. Des fiches de renseignements sont disponibles pour certains des types de dispositifs les plus utilisés, à savoir :
Le site Internet fournit aussi des liens vers des domaines concernant d’autres types de traitement, tels que avancées de trottoir, îlots de refuge, passages piétons surélevés, et bandes rugueuses, et des liens vers des sujets tels que la réduction de la vitesse, de la fréquence des accidents, et des mouvements coupant à travers la circulation.
Dans le meilleur des cas, la modération de la circulation est habilement intégrée dans l’aménagement urbain à travers la conception des rues, la gestion du stationnement, l’aménagement paysager et la plantation de végétaux, pour créer un environnement qui est à l’évidence un environnement de faible vitesse, adapté pour les piétons et les cyclistes et où le comportement approprié est évident pour tous les usagers, y compris le choix d’une vitesse appropriée par les conducteurs.
Les principes de modération de la circulation ont été largement appliqués dans l’établissement de zones à faible vitesse dans les quartiers résidentiels. Ce concept est né aux Pays-Bas comme « woonerf » ou « zone conviviale », et a depuis été adopté par plusieurs pays sous des formes variées. Les principaux facteurs de succès sont un réseau de voiries avec de faibles volumes de circulation, un ensemble qui ne puisse pas être traversé rapidement, et un changement dans l’aspect des rues.
Au Royaume-Uni, les premières zones à vitesse limitée à 20 miles à l’heure ont produit des changements substantiels dans les vitesses et les accidents. Une revue a conclu que la réduction moyenne de la vitesse a été approximativement de 14 km/h, et celle du nombre des accidents de 60%. Le nombre d’accidents impliquant des enfants a baissé de 70%, et les accidents impliquant des cyclistes ont baissé de 29% (Webster & Mackie, 1995). Le flux de circulation dans ces zones a baissé en moyenne de 27%, et augmenté de 12% sur le réseau alentour, ce qui n’a cependant pas entraîné une augmentation des accidents sur ces routes aux alentours.
Un exemple extrême de modération de la circulation est l’approche d’espace partagé, connue dans certaine presse comme l’approche des « rues nues », dont Hans Modermann a été le pionnier aux Pays-Bas. Dans des rues et autres espaces publics où les piétons ont la priorité, retirer tous (ou presque tous) les panneaux de signalisation et le marquage supprime les indices visuels qu’il s’agit d’un environnement pour véhicules motorisés et que les conducteurs devraient se comporter en conséquence. Au contraire, il est rendu très clair que cette zone est principalement piétonnière, et que les conducteurs sont supposés prévoir les mouvements de leur véhicule de manière à ne pas gêner les piétons, et qu’un degré de communication est nécessaire entre les usagers pour décider si la priorité est donnée aux véhicules ou aux piétons. Cependant, un examen exhaustif des données disponibles n’a pas permis de conclure si l’espace partagé a oui ou non amené une réduction des accidents (Edquist & Corben, 2012). Si certains des sites étudiés ont effectivement connu une réduction des taux d’accidents, d’autres au contraire ont souffert d’une augmentation, y compris des sites où antérieurement il n’y avait jamais eu d’accident. La pauvre conception des études examinées et le fait de ne pas prendre en compte la possible augmentation de l’activité piétonne ont aussi rendu difficile de parvenir à une conclusion.
Les enthousiastes du concept d’espace partagé ou « rues nues » précisent que celui-ci ne convient qu’aux environnements où il est approprié de donner la priorité aux piétons, tels que les zones résidentielles, les espaces publics ouverts, et les routes accueillant un grand nombre de piétons (par exemple, centres commerciaux ou culturels). Le fonctionnement de l’économie et de la société exige que la priorité soit donnée à la circulation automobile sur la plupart des autres routes, et par conséquent, une gamme complète de signaux, panneaux, marquage et autres dispositifs sont nécessaires pour communiquer les comportements attendus des conducteurs.
Des combinaisons de traitement telles que le marquage sur la chaussée, le rétrécissement de la route et des panneaux de signalisation ont été utilisées avec succès pour réduire les vitesses à la traversée des villages. Un rapport du ministère des Transports du Royaume-Uni fournit un résumé complet de la recherche sur la modération de la circulation, y compris les traitements aux entrées de secteur ou d’agglomération (Graphique 4). Il conclut que les traitements à bas coût réduisaient les vitesses de moins de 5 km/h, les traitements plus substantiels jusqu’à 11 km/h, et que les traitements les plus importants, tels que le rétrécissement de la chaussée, amenaient une réduction jusqu’à 16 km/h (DETR, 2007).
En Nouvelle-Zélande, Makwasha et Turner (2013) ont constaté des réductions de vitesse étaient associées avec les traitements des entrées. Conformément aux recherches antérieures, ils ont constaté que la réduction de vitesse était plus importante aux points de passage avec une chaussée rétrécie, qu’aux entrées marquées seulement par de la signalisation. Une réduction de 41% des décès et blessés graves a été constatée aux passages rétrécis, contre une légère augmentation aux passages seulement marqués par de la signalisation. Ceci concorde avec les travaux antérieurs de Tayler et Wheeler (2000) au Royaume-Uni, qui ont montré une réduction de 43% des accidents mortels et graves pour les seuls traitements aux entrées de secteur ou d’agglomération, et une réduction de 70% de ces accidents si le traitement était accompagné de traitements de modération de la circulation en aval (Graphique 8.4).
Le guide HFPSP de l’AIPCR présente un exemple détaillé de traitement d’un passage.
Les traitements sont aussi utilisés à l’entrée des zones à vitesse limitée en agglomération. Cependant, les vitesses étant de toute manière généralement limitées à ces endroits, il peut être difficile d’évaluer l’efficacité des traitements (DETR, 2007).
Comme déjà mentionné plus haut, les ingénieurs routiers disposent d’une large gamme de techniques et de dispositifs efficaces pour communiquer avec l’usager de la route. Le respect du code de la route s’améliorera probablement de manière considérable si ces techniques sont utilisées conjointement avec la conception de base de la route pour créer un environnement routier fournissant des messages cohérents aux usagers sur le type de route qu’ils sont en train d’emprunter, la fonction de celle-ci, et, par inférence, le type de comportement de conduite et de choix de vitesse approprié. Ce concept est généralement connu comme « la hiérarchisation des routes ».
Les routes lisibles poussent ce concept encore plus loin en aménageant le système routier et ses abords immédiats de telle sorte que les choix de conduite désirés soient évidents pour les conducteurs.
Le site Internet de la Commission européenne (EC, sans date) décrit ainsi les routes lisibles:
« L’objectif est que différentes classes de routes soient distinctes, et que dans chaque classe, les caractéristiques telles que la largeur de la chaussée, le marquage au sol, la signalisation et l’utilisation de l’éclairage public soient cohérents sur toute la route. Les conducteurs devraient percevoir le type de route et « instinctivement » savoir comment se comporter. L’environnement fournit efficacement une « étiquette » du type particulier de route et réduit ainsi le besoin de dispositifs de contrôle de la circulation tels que des panneaux de signalisation additionnels pour réguler le comportement routier ».
Les routes ont des fonctions différentes qui nécessitent des vitesses de circulation différentes et des comportements différents, par exemple l’état d’alerte pour réagir à la présence de cyclistes et de piétons (y compris les jeunes enfants). Si ces fonctions peuvent être rendues explicites par la conception et les caractéristiques de la route, il devrait être beaucoup plus facile d’encourager les conducteurs à se comporter de manière appropriée. Une route vraiment lisible rendrait évidents d’autres aspects du comportement du conducteur, comme par exemple quel flux de circulation devrait céder la priorité à un autre, lorsque le conducteur s’approche d’un croisement ou d’une courbe, où il est probable que des piétons traversent la route, et où le conducteur devrait positionner son véhicule pour traverser un flux de circulation. Une route lisible nécessiterait peu de panneaux ou de marquage parce que les choix de conduite désirés seraient inspirés intuitivement par son aspect.
Aux Pays-Bas, où le concept est né, quatre catégories de routes ont été jugées suffisantes pour servir tous les besoins (Theeuwes & Godthelp, 1995) à savoir : autoroutes, grandes routes interurbaines, routes rurales pour relier les zones résidentielles aux secteurs commerciaux et de services, et woonerfs (ou zones résidentielles soumises à modération de la circulation). D’autres pays peuvent considérer qu’ils ont besoin de plus de catégories pour couvrir l’ensemble de leurs types de routes (par exemple, routes rurales d’accès, routes collectrices urbaines). Le point important ici est que les routes peuvent être conçues pour créer différentes attentes de comportement des conducteurs.
Une récente application des principes de routes lisibles dans une banlieue d’Auckland en Nouvelle-Zélande, montre comment une conception appropriée (dans ce cas, le réaménagement d’une zone grâce à la plantation de végétation et d’autres mesures peu coûteuses) peut influencer le comportement. Après la mise en œuvre, les vitesses moyennes ont diminué dans les rues locales mais n’ont pas changé sur les routes collectrices et dans les deux cas, la variabilité des vitesses a diminué (Charlton et al, 2010). Sur les routes locales, le nombre de véhicules a diminué, le maintien de la trajectoire du véhicule est devenu moins constant, et la signalisation moins fréquente. De plus, le nombre de piétons a augmenté, et les piétons étaient moins limités dans leurs déplacements. Cependant, ces changements n’étaient pas évidents sur les routes collectrices (Mackie et al, 2013). Les auteurs ont interprété ces changements comme indiquant qu’un environnement moins formel et plus calme avait été créé dans les rues locales, ce qui était l’objectif du projet. Ces changements de comportement ont été accompagnés par une baisse de 30% des accidents et une réduction de 86% du coût des accidents.
Les implications des routes lisibles sont particulièrement pertinentes pour les PRFI. Les preuves accumulées montrent que les conducteurs perçoivent des messages puissants sur la façon appropriée de conduire à partir des indices visuels de l’environnement. Les projets de développements de nature commerciale ou sociale ayant un impact sur l’infrastructure routière doivent être examinés soigneusement. Si la fonction commerciale ou sociale est retenue, il faut veiller à séparer la circulation de transit de la zone d’activités mixtes, et qu’un environnement à grande vitesse n’y est pas imposé. S’il n’est pas possible de conserver les fonctions commerciales ou sociales, il faut trouver un site alternatif adapté à ces activités, et la nouvelle infrastructure routière qui remplace l’ancienne zone d’activité mixte devrait être clairement identifiable comme étant principalement destinée à la circulation.
Il existe une distinction claire entre la fatigue qui provient du temps passé à exécuter une tâche, et la somnolence qui varie selon le moment de la journée et la quantité de sommeil qu’une personne a eu. Les deux termes sont souvent utilisés de manière interchangeable parce que les deux phénomènes se produisent souvent ensemble et ont le même effet affaiblissant sur la conduite. Un récent examen par le ministère pour l’Environnement, des Transports et les Régions du Royaume-Uni (Jackson et al, 2011) a conclu que la fatigue affecte la capacité de conduite de trois manières, en augmentant :
Les manières les plus efficaces de gérer la fatigue des conducteurs professionnels semblent être les programmes de gestion de la fatigue sur le lieu de travail, soutenus par des programmes pour assurer que les conducteurs se présentent au travail suffisamment reposés, en abordant des questions de style de vie. Cependant, il semble que l’infrastructure joue aussi un rôle pour contrer les effets de la fatigue.
Roberts et Turner (2008) ont identifié des domaines spécifiques où des contremesures relatives à l’infrastructure peuvent être efficaces, parmi lesquelles :
Les occasions de repos sont bénéfiques. Il est établi que de courtes périodes de sommeil peuvent restaurer la capacité des conducteurs fatigués. Cependant, il existe une incertitude sur la localisation des aires de repos par rapport aux tronçons à haut risque de la route, et sur le meilleur type d’installations à fournir selon les aires.
Réduire la monotonie a été jugée utile, mais il existe une incertitude quant aux types de traitement qui seraient efficaces. Il est à noter que le guide HFPSP de l’AIPCR suggère que la création de tracés sinueux et rythmés peut contrer la monotonie en changeant constamment le champ visuel et suggère qu’une végétation et des environnements bâtis monotones soient évités (AIPCR, p. 37).
Dans les zones où le risque d’accidents dus à la fatigue est élevé, la signalisation et le marquage attirant l’attention et informant sur les possibilités de repos en ville ou sur les aires dédiées sont considérées comme ayant avoir un bon effet.
Les marquages au sol audibles sont des lignes thermoplastiques surélevées produisant un son bourdonnant lorsqu’un véhicule passe dessus, alertant ainsi le conducteur que le véhicule dérive vers l’accotement (si la ligne audible est installée au bord de la route) ou vers le centre de la route et la voie opposée (si la ligne est installée au centre de la route). Ces lignes se sont révélées très efficaces pour réduire les accidents, mais généralement elles ne produisent pas un son assez fort pour être aussi efficaces pour les camions. Dans les pays où les routes rurales sont généralement asphaltées, un traitement équivalent peut être produit à moindre coût en créant des dépressions dans l’enrobé au moyen d’un rouleau spécial, ou en effectuant des rainures de fraisage en surface de la route. Ceci n’est pas possible avec les revêtements en enduit superficiel, ce qui est typique de nombreuses routes dans les PRFI et les PRE à faible densité de population. Les marquages par ligne audible peuvent aussi être appliqués aux routes en béton, en utilisant les mêmes techniques de lignes thermoplastiques ou de fraisage.
Si toutes ces mesures ne suffisent pas à prévenir les accidents liés à la fatigue, les barrières et/ou les zones de dégagement libres d’obstacles aux emplacements appropriés ont le potentiel d’éviter les accidents graves.