Manuel de sécurité routière
Un manuel pour les praticiens et les décideurs
pour la mise en œuvre d’une infrastructure sûre
Depuis la moitié du siècle dernier, des changements progressifs dans la pensée et la pratique en matière de sécurité routière ont eu lieu. Ainsi que brièvement présenté dans l’encadré 1.2 du chapitre 1, une approche de plus en plus ambitieuse a été identifiée, qui a culminé avec l’objectif du Système Sûr d’éliminer les décès et les blessures graves par accident de la route (Peden et al, 2004 ; OCDE, 2008 ; FMSR, 2009). Le présent chapitre examine l’évolution de ces développements plus amplement, et retrace le coûteux chemin depuis le seul point d’attention portée au conducteur, jusqu’à l’approche du Système Sûr qui englobe et se fonde sur les meilleures des approches antérieures.
Dans les années 50 et 60, une rapide motorisation a eu lieu dans de nombreux pays de l’OCDE, accompagnée par une croissance du nombre des morts et des blessures graves sur la route. À l’époque, la gestion de la sécurité routière se caractérisait par des unités institutionnelles dispersées, sans coordination, avec peu de ressources et exécutant de manière isolée des fonctions uniques (Trinca et al, 1988). Les politiques se concentraient sur le conducteur. Des règles et des sanctions législatives étaient établies, accompagnées par de l’information et la communication en vue d’obtenir des changements de comportement. Comme l’expérience l’a montré, on pensait de manière erronée que l’erreur humaine était la cause principale des accidents et qu’il suffirait pour résoudre efficacement les problèmes de sécurité routière d’éduquer et de former les usagers de la route pour améliorer leur comportement. Ainsi que noté par l’Organisation mondiale de la Santé, bien que ces mesures constituent un soutien, il n’existe que peu ou pas de preuves indiquant un effet de réduction du nombre de décès (Peden et al, 2004). L’insistance exagérée sur le rôle de la responsabilité individuelle et sur le rejet du blâme sur la victime évite aux autorités concernées de pleinement assumer leur responsabilité.
Dans les années 70 et 80, une approche systémique des interventions devint évidente. L’épidémiologiste américain William Haddon a développé un cadre systémique pour la sécurité routière, fondé sur un modèle de maladies incluant l’infrastructure, les véhicules et les usagers dans les étapes pré-, intra- et post-accident (Haddon, 1968). L’élément central de cette approche était la compréhension que l’échange d’énergie cinétique dans un accident est la cause des blessures, et qu’il doit être géré pour assurer que le seuil de tolérance humaine ne soit pas excédé. Ceci a élargi la portée de l’intervention pour mettre en lumière la nécessité d’intervenir sur l’ensemble du système, et a sous-tendu un changement majeur dans la pratique en matière de sécurité routière qui a mis plusieurs décennies à évoluer. Cependant, ceci n’abordait pas les sujets de la gestion institutionnelle nécessaires pour agir ou pour cibler les résultats (OCDE, 2008 ; FMSR, 2009).
À la fin des années 90, les pays obtenant de bons résultats avaient progressé vers la mise en œuvre de plans d’action avec des objectifs quantitatifs de réduction des décès, et parfois des blessures graves (OCDE, 1994, 2008 ; AIPCR, 2012). Les réductions atteintes dans différents groupes de pays de l’UE sont présentées dans le Graphique 2.2.
Dans de nombreux pays, des réductions du nombre de morts ont été obtenues au moyen d’actions systémiques, fondées sur les preuves rassemblées à partir de suivis, de l’évaluation et de la recherche. Typiquement, quatre grandes catégories d’actions ont été responsables de l’essentiel des gains de sécurité obtenus. Il s’agit :
Une ample littérature a été produite sur l’intervention fondée sur le retour d’expérience utilisée dans des programmes ciblés efficaces, et une bonne introduction est fournie par le Rapport mondial sur la Prévention des Traumatismes dus aux Accidents de la Circulation (Peden et al, 2004), l’OCDE (2008) et l’AIPCR (2012). D’autres exemples sont présentés dans les chapitres suivants de ce Manuel.
Une attention nouvelle a été accordée à la gestion institutionnelle et aux agences chef de file. Le soutien aux processus de coordination intergouvernementale a été accru, et des mécanismes et processus de financement et d’allocation de ressources ont été mis en place pour aider à atteindre les objectifs (Peden et al, 2004 ; Koonstra et al, 2002). En Nouvelle-Zélande, les mesures renforcées de responsabilisation comportaient des hiérarchies ciblées liant les actions institutionnelles aux résultats intermédiaires et finaux. Ceci a fourni un cadre pour la coordination et l’intégration d’activités multisectorielles (LTSA, 2000). Cette évolution a posé les fondations de la pratique actuelle, et reflète les arrangements institutionnels existant aujourd’hui dans de nombreux pays ayant les meilleurs résultats (OCDE, 2008 ; FMSR, 2009 ; AIPCR, 2012).
À la fin des années 90, deux des pays avec les meilleurs résultats avaient déterminé que le maintien d’une amélioration continue des résultats exigerait une approche plus ambitieuse, exhaustive et durable que ce qui avait été adopté dans la pratique antérieure. La stratégie de Sécurité durable des Pays-Bas et celle de la Vision Zéro de la Suède visent à rendre le système routier intrinsèquement sûr (Koornstra et al, 1992; Tingvall, 1995; Wegman & Elsenaar, 1997). Ces stratégies ont depuis lors été développées dans des publications essentielles (Tingvall & Haworth, 1999; Wegman & Aerts, 2006).
Dans les deux approches, Sécurité durable et Vision Zéro, une attention nouvelle est accordée à la gestion de l’échange d’énergie cinétique lors de l’accident pour assurer que le seuil de tolérance humaine aux blessures ne soit pas dépassé. Connu sous son nom générique de Système Sûr, l’objectif d’éliminer au final les atteintes graves à la santé dues à des accidents de la circulation fournit une base éthique. Les morts et les blessures graves sur la route ne sont désormais plus considérés comme l’inévitable prix à payer pour améliorer la mobilité (Tingvall & Haworth, 1999).
« Vision Zéro reflète la tolérance zéro envers le traditionnel compromis entre mobilité et blessures sur la route ».
Source: Ministre suédois Elmsäter-Svärd., Investing in Road Safety: Challenges, Opportunities, and New Partnerships Leipzig, Allemagne, Mai 22, 2013.
Comme nous le verrons au chapitre 4, cette approche va plus loin que les approches traditionnelles qui plaçaient l’attention des actions sur des véhicules plus sûrs, des routes plus sûres, et des usagers plus sûrs. Cette nouvelle approche aborde maintenant les interfaces critiques entre ces éléments. Les éléments « fabriqués » du système, c’est-à-dire les véhicules et les routes, peuvent être conçus pour être compatibles avec l’élément humain (Tingvall, 1995; Ydenius, 2010). Cette responsabilité partagée d’une meilleure conception est un élément crucial de l’approche du Système sûr.
« Dans un système durablement sûr de sécurité routière, la conception de l’infrastructure réduit de manière inhérente et drastique le risque d’accident. Si un accident se produisait, le processus qui détermine la gravité de l’accident est conditionné de telle manière qu’une blessure grave soit pratiquement exclue ».
Towards sustainably safe road traffic, Koornstra et al., (1992).
« Afin de réussir un système de transport sûr, nous devons changer nos vues concernant la responsabilité, dans la mesure où une responsabilité clairement définie de concevoir un système routier sur la base des véritables capacités humaines est donnée aux concepteurs du système, prévenant ainsi les cas de décès et de blessures graves qu’il est possible de prédire et de prévenir ».
Comité suédois de recherche sur la Responsabilité dans le Trafic routier (1996).
En même temps, les outils et les pratiques utilisés pour soutenir l’objectif et l’approche du Système sûr sont les mêmes que ceux utilisés dans le passé pour préparer et mettre en œuvre des plans nationaux ciblés. L’intervention est identifiée en vue de résultats à court, moyen et long terme. Les objectifs sont toujours fixés comme des bornes qui doivent être atteintes en route vers l’objectif final, avec une nouvelle attention aux résultats cibles intermédiaires directement liés à la prévention des décès et des blessures graves (Stigson, 2009). La justification de ceci est de fournir une meilleure information et opportunité de gestion aux professionnels ayant une responsabilité directe sur les différents aspects des résultats de l’infrastructure et de l’exploitation de la circulation routière. Dans les PRFIs, où les bases de données ne sont pas forcément développées ou opérationnelles de manière efficace, cette approche permet le ciblage immédiat de résultats intermédiaires dans des projets multisectoriels et, en second lieu, dans des programmes (voir la discussion et les recommandations des chapitres 4 et 6).
L’approche du Système sûr se fonde sur les meilleures des approches antérieures et aborde la question de comment traiter de manière rapide et exhaustive tous les éléments du système de gestion de la sécurité routière, lorsqu’il existe un potentiel d’amélioration. Elle encourage l’innovation et l’adoption de nouvelles technologies efficaces (voir par exemple Lie, 2012), étayées par une responsabilité partagée et par une direction institutionnelle renforcée et responsabilisée (OCDE, 2008).
Le Système sûr est promu par le Plan mondial (CNUSR, 2011a), l’OCDE (2008), la Banque mondiale (FMSR, 2009), l’ISO (2012), et de nombreuses autres organisations internationales (CNUSR, 2011b), en tant que meilleure pratique pour tous les pays visant à se doter de capacité pour un système de trafic routier durable, sans égard de leur statut économique et des résultats actuels en matière de sécurité routière.
La raison d’être de l’adoption et de la mise en œuvre du Système sûr dans les PRFIs est que ce dernier aborde directement les besoins des usagers vulnérables et ceux des autres usagers. Elle requiert que la sécurité soit conçue comme partie intégrante du développement du réseau routier au lieu d’être considérée après-coup. Ceci permet d’épargner des coûts ultérieurs en ayant négligé la sécurité dans le processus de planification et de conception. De plus, le Système sûr s’aligne bien avec les objectifs nationaux, régionaux, mondiaux et de haute priorité de durabilité, d’harmonisation et d’inclusion (voir Encadré 2.5).
L’approche du Système sûr :
Source : Bliss et Breen, 2012; OCDE, (2008).
Le chapitre 4 examine en détail l’approche du Système sûr, sa base scientifique et sa portée. Une introduction aux étapes de la mise en œuvre de projets selon le Système sûr dans les pays à revenu faible est présentée au paragraphe 2.2.2 et examinée plus complètement aux chapitres 4 et 6.