Manuel de sécurité routière
Un manuel pour les praticiens et les décideurs
pour la mise en œuvre d’une infrastructure sûre

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7.3 Impacts de l’adoption du Système sûr sur le rôle et les responsabilités de l’autorité routière

Des attentes différentes

Les principes de conception selon le Système sûr présentés au chapitre 4 anticipent, qu’avec le temps, les autorités routières qui adoptent le Système sûr assureront que l’infrastructure et l’environnement routier contribuent à de bons résultats pour la sécurité des usagers en dépit de leurs erreurs et prendront mieux en compte les seuils de tolérance humaine aux accidents.

Des politiques, des directives et des programmes doivent être développés pour assurer la transition vers un réseau incorporant les principes et les résultats du Système sûr. Le tableau 7.1 illustre le changement d’approche que le public attendra de l’autorité routière, au moyen d’une comparaison actuelle faite en Suède, entre l’approche de Système sûr/Vision Zéro et l’approche traditionnelle.

Tableau 7.1 : Le changement de paradigme vers le Système Sûr

L’adoption progressive des objectifs et stratégies de Système sûr dans la pratique des autorités routières exige un investissement important en connaissances, compétences, et développement de politiques et directives, autant de la part de l’autorité routière en tant qu’entité que de la part du personnel.

Des autorités routières de plus en plus nombreuses reconnaissent les implications majeures du système Sûr.

Le rôle de l’autorité routière est de fournir un réseau routier sûr, ce qui exigera la réduction progressive des compromis traditionnels historiquement acceptés entre la sécurité d’un côté et la mobilité et l’accès de l’autre. Plutôt que des compromis, des situations gagnantes sont nécessaires et doivent être planifiées au fil du temps.

Obtenir le soutien à l’investissement pour la sécurité des infrastructures, afin de parvenir à établir dans tout le réseau des conditions où les risques d’accident mortels sont évités, deviendra une priorité. Ceci augmentera probablement de manière substantielle les interventions relatives à la sécurité de l’infrastructure par rapport aux autres programmes de sécurité routière.

Une nouvelle attention au Système sûr dans les programmes et les projets

Les autorités routières (et toutes les agences de sécurité routière) doivent reconnaître que le cadre permettant la compréhension et la gestion du risque doit être profondément repensé. Dans de nombreux PRFIs, la connaissance du nouveau cadre et des nouvelles responsabilités pour déterminer les risques d’accident et les traiter est inadéquate.

La nouvelle approche retenue par les autorités routières de la Slovénie (Zajc, 2014), présentée dans l’Encadré 7.2, illustre ainsi la reconnaissance par les autorités du besoin de réaliser cet ajustement majeur.

Encadré 7.2 : L’expérience de la Slovénie en gestion de la sécurité routière

Antérieurement : le conducteur doit s’ajuster à l’infrastructure routière. Le conducteur était traité comme un potentiel délinquant.

Actuellement : l’infrastructure routière doit s’accommoder au conducteur

Le conducteur est à considérer comme une victime parce qu’il ne possède qu’une capacité limitée à traiter toute l’information provenant de la circulation. Le système doit donc être simple afin que le conducteur commette moins d’erreurs. Si le conducteur commet des erreurs, le système doit les « pardonner » et en réduire les conséquences.

Source : Zajc (2014)

 

D’un autre côté, l’Encadré 7.3 présente un exemple illustrant le manque de compréhension adéquate du risque d’accident et de réponse appropriée d’une autorité routière.

Encadré 7.3 : Une autorité routière du Sud-Est de l’Europe ne reconnait pas adéquatement le risque

Dans le cadre d’un examen de la capacité en sécurité routière, des débats ont été tenus en 2008, au sein de l’autorité routière nationale d’un pays du Sud-Est de l’Europe, pour déterminer, entre autres questions, pourquoi, sur une route nationale particulièrement montagneuse avec une forte circulation de camions, le marquage diviseur au sol n’était en place que sur 50% de la longueur requise par les standards internationaux sur la longueur de dépassement à vue. L’autorité a répondu que « si le marquage diviseur au sol existait sur toute la longueur de la route, afin de satisfaire aux normes de sécurité, les opportunités de dépassement deviendraient des plus limitées ». Ce compromis entre la sécurité et la commodité (ou « efficacité » selon certains) n’était pas transparent : il n’y a eu aucun débat avec le public sur le risque d’accident grave avec des temps plus courts de déplacement. Ceci est un exemple trop commun du passé, où la sécurité n’a pas été pleinement prise en considération ou a été secrètement compromise en faveur d’autres objectifs.

 

L’approche adoptée en Argentine pour prendre en compte le Système sûr est expliquée dans l’étude de cas présentée dans l’Encadré 7.4.

Encadré 7.4 : Étude de cas – Application de l’approche du Système sûr avec la création d’une agence en Argentine

Le problème : En 2008, le gouvernement de l'Argentine a créé l'Agence nationale de sécurité routière (ANSV) envisagée comme étant l'agence responsable de la circulation et de la politique de sécurité routière. Le défi pour l'ANSV nouvellement formée était d'exercer ses pouvoirs et d'accomplir sa mission à l’intérieur d’un cadre fédéral qui prévoyait une autonomie significative des gouvernements provinciaux et locaux. Le défi de l'ANSV incluait un système de registre décentralisé pour les permis de conduire, sans enregistrements unifiés des infractions au code de la route et aucune donnée fiable sur les accidents de la route.

La solution : Le rôle de l'ANSV a été institutionnalisé par sa mise en place en tant qu'organisme décentralisé avec une autonomie financière au sein du ministère de l'Intérieur et la «responsabilité» de l'ANSV à l’égard de la sécurité routière a été légitimée par des partenariats avec les gouvernements provinciaux et locaux, les organismes non gouvernementaux et le secteur privé. Pour l'application des lois relative à la circulation, l'ANSV a été chargée de promouvoir et de coordonner le contrôle de la circulation et la supervision des forces de police dans toutes les juridictions. L'ANSV a également conçu et mis en œuvre, province par province, un système de registre national pour les permis de conduire, les données de circulation et les infractions.

Pour construire la plate-forme de gestion des résultats, l'ANSV a investi dans des systèmes de suivi de la sécurité routière et des outils d'analyse à l’occasion du lancement d'un Observatoire National de la Sécurité Routière. L'Observatoire a mis au point un système complet de gestion des données d’accidents incorporant les lignes directrices des meilleures pratiques définies par le Groupe international sur les données de sécurité routière et leur analyse (IRTAD) de l'OCDE en utilisant un programme de mentorat par les pairs avec les pays de l’OCDE.

Le résultat : Entre 2008 et 2014, les décès par accidents de la route pour 100 000 habitants ont diminué de 14,5 à 12 (- 17%); et les décès pour 10 000 véhicules sont passés de 3,7 à 2,1 (- 43%), pendant la même période. De plus, en ce qui concerne les aspects comportementaux, le nombre de conducteurs mettant leur ceinture de sécurité a augmenté de 36% entre 2011 et 2014 et l'utilisation du casque de moto est passée de 39% à 62% au cours de la même période.

En 2013, l'IRTAD a commencé à établir des rapports et à fournir un accès mondial aux données provisoires de l'Argentine, devenant ainsi le premier pays latino-américain à intégrer l’IRTAD en tant que membre à part entière.

 

Source: Veronica Raffo et Tony Bliss, «La décennie d'action pour la sécurité routière 2011 - 2020: leçons de l'Argentine», En brève N ° 180, Banque mondiale, décembre 2012.

 

© ARRB Group

Les pouvoirs de gestion de l’utilisation des terres et les impacts du développement

Mettre en œuvre les principes du Système sûr dans les nouveaux projets routiers majeurs et, plus particulièrement, améliorer avec le temps le niveau de sécurité des routes existantes impliquera, entre autres mesures, la mise en place de contrôles adéquats des accès le long des routes et des activités riveraines. Les pouvoirs et les actions gouvernementales nécessaires pour réglementer l’utilisation des terrains adjacents et les activités permises sur les abords des routes existantes seront indispensables.

Il sera nécessaire d’établir des processus entre l’autorité routière et les autorités locales pour évaluer l’impact sur la sécurité de tout développement proposé sur des terrains adjacents. Les problèmes potentiels de sécurité doivent être identifiés et une gamme de réponses développée en tant que possibles conditions auxdits développements afin de minimiser tout dommage futur. L’autorité ou le pouvoir d’exécuter ces processus doivent être inclus dans la législation des autorités locales concernant la planification de l’utilisation des sols.

Des lois amenant un plus grand respect par le public des décisions prises par l’autorité routière ou l’autorité locale sur ces questions seront nécessaires, et devront être appliquées. Il faudra aussi considérer l’introduction d’incitations pour encourager les autorités locales à adhérer aux politiques de planification de l’utilisation des sols. Il est d’extrême importance que les parties prenantes comprennent et acceptent le besoin de législation pour contrôler ces développements, et que les autorités :

  • aient voix au chapitre (prévue dans la législation sur la planification de l’utilisation des sols) dans la réponse aux impacts probables des développements proposés sur la sécurité de l’exploitation de la route ;
  • aient la capacité d’établir des conditions appropriées d’accès le long des routes, qui seront obligatoires pour les développeurs et respectées par les autorités locales agissant en tant qu’autorité responsable ;
  • puissent être assurées que les contrôles des développements riverains soient adéquatement appliqués ;
  • puissent être assurées que toute activité non autorisée dans les emprises routières (telle que colporteurs ou vendeurs ambulants) fera l’objet d’une application de la loi rapide et efficace par les autorités locales ;
  • établissent un groupe conjoint entre l’autorité routière et les autorités locales pour la surveillance et l’application pour chaque zone de juridiction.

L’Encadré 7.5 présente une étude de cas qui couvre certaines questions très pertinentes de sécurité dans de nombreux PRFI pour les villages-rue. Ces situations communes reflètent les pouvoirs inadéquats de l’administration publique (ou leur manque d’application), ce qui conduit à des environnements routiers dangereux, en particulier pour les usagers vulnérables.

Encadré 7.5 : Étude de cas: les villages-rue

Le problème : l’un des facteurs principaux de décès sur la route dans les PRFI est la présence d’usagers vulnérables sur les routes bordées d’une urbanisation linéaire. Dans ces cas, le manque de contrôle des accès et des stratégies pauvrement conçues pour le développement de l’infrastructure routière (et pour le développement de l’urbanisation) a pour résultat un mélange de fonctions avec des usages résidentiels et commerciaux le long des routes artérielles du pays supportant une forte circulation de véhicules lourds et rapides. Ces «routes cercueils» sont des exemples bien connus des problèmes posés par l’urbanisation linéaire le long de routes fréquentées, et se rencontrent dans de nombreux PRFI.

Les usagers vulnérables de la route ne sont pas les seuls à courir un grand risque. La présence de demi-tours mal conçus ou de restrictions physiques inadéquates aux demi-tours le long des routes des PRFI sont une cause majeure d’accidents graves, en particulier parmi les passagers des minibus de transport public (par exemple en Egypte). Ces ouvertures pour les demi-tours et les manœuvres permises constituent un désastre pour la sécurité routière. Elles sont une caractéristique profondément ancrées dans les PRFI. Elles requièrent action de la part des autorités routières pour parvenir à une conception adéquate des projets par les autorités locales local pour une gestion sécuritaire de l’emprise routière.

La solution : des mesures fondées sur les bonnes pratiques dans les PREs et qui comprennent :

  • des stratégies de planification de l’utilisation des sols et l’urbanisation pour réglementer et prévenir une telle urbanisation le long des routes fréquentées,
  • le pouvoir et les outils juridiques pour que l’administration routière fasse appliquer le contrôle des accès le long des routes interurbaines et des autoroutes,
  • des outils de traitement de l’infrastructure et un financement pour remédier aux situations dangereuses existantes, en particulier pour les usagers vulnérables de la route.

Source : Vollpracht (2013).

 

L’urbanisation linéaire le long des routes crée des situations dangereuses, où les piétons et les véhicules entrent et sortent de la route depuis chaque entrée des propriétés riveraines (en continu). Les principes du Système sûr indiquent que chaque accès à une propriété donnant sur la route représente un carrefour mineur, avec la possibilité de collisions à angle droit entre des véhicules entrant ou sortant de la chaussée et des véhicules se déplaçant le long de la route. Dans de nombreux pays, ces situations compromettent les efforts pour élaborer un système cohérent de classification routière s’appliquant à des tronçons de route. L’Encadré 7.6 met en lumière des solutions pour traiter de l’urbanisation linéaire.

Encadré 7.6 : Solutions à l’urbanisation linéaire en Republika Srpska, Bosnie

L’urbanisation linéaire est fréquente en Republika Srpska (et dans la plupart des pays des Balkans) et pose un sérieux problème, en particulier pour les usagers vulnérables de la route.

Une stratégie à deux composants a été proposée pour traiter de ces risques :

  • Un système de voie express avec une route à 2+1 voies contournant les villages et les villes, a un coût moitié par rapport à celui d’une autoroute et suffisant pour des volumes de circulation jusqu’à 20 000 véhicules par jour. Ainsi des routes artérielles principales et sûres pour la Republika Srpska peuvent être construites beaucoup plus tôt que le réseau planifié d’autoroutes. Elles peuvent être élargies ultérieurement, dès que la circulation exigera une seconde voie.
  • Adapter les routes principales et régionales existantes traversant une urbanisation linéaire à des fonctions d’usages mixtes par des mesures de modération de la circulation et en améliorant la sécurité des usagers non-motorisés.

Source: Kostic et al (2013).

 

Comme décrit plus haut, les activités non autorisées dans l’emprise routière, et en particulier sur les routes à fort trafic, doivent être réglementées et gérées pour minimiser les impacts négatifs sur la sécurité des usagers. Dans de nombreux PRFI, ceci est une faiblesse considérable, ce qui permet aux commerçants et vendeurs d’occuper l’emprise routière et d’y installer des stands et des marchandises. Dans les zones urbaines, les vendeurs ambulants installent leurs marchandises sur les accès piétonniers, forçant les piétons à marcher sur la route. Souvent, cet usage non autorisé n’est que peu géré par le gouvernement, les autorités et la police locaux. Attirer l’attention et obtenir le soutien du gouvernement pour changer cette situation représente un défi majeur pour les autorités routières. Il existe cependant des exemples de succès dans les PRFI, où les autorités locales ont négocié la réinstallation des vendeurs ambulants dans des espaces de marché public, loin des routes principales, pour en améliorer la sécurité.

© ARRB Group

Classification des routes

L’adoption d’une classification des routes du réseau prenant de plus en plus en considération la sécurité et qui reflète mieux la fonction, la limite de vitesse, la configuration et la conception de la route est une aspiration importante. Comme signalé plus haut, l’urbanisation linéaire (aussi appelée « en ruban ») est une caractéristique de la plupart des PRFIs et tend à contrecarrer cette approche de classification. Pour le Système sûr, il est important de tendre vers l’objectif à long terme de séparer les fonctions d’usage des routes et d’améliorer la sécurité dans l’exploitation routière. Une planification adéquate peut guider les futurs investissements routiers (par exemple la construction de routes de contournement) et l’amélioration des routes existantes pour « sécuriser » leur accès ou leur fonction de route principale.

Comme indiqué au chapitre 4.6, l’approche sécurité durable des Pays-Bas insiste beaucoup sur un système robuste de classification des routes. La fonctionnalité de la route est intégrée dans l’approche, et suggère que chaque route ne devrait avoir qu’une seule fonction, que ce soit de route de transit, de route distributrice ou de route secondaire. Ce concept a été bien compris durant de nombreuses années, mais plus récemment il a été de plus en plus reconnu que davantage devait être fait pour assurer que cette distinction est faite. Ceci inclut l’établissement d’un système approprié de classification s’appliquant à toutes les routes et de s’assurer que la conception de la route et sa compréhension par les usagers soit cohérentes avec la fonction de la route. Le chapitre 8.2.1 fournit plus d’information sur cette question, y compris un examen du concept de routes « lisibles » pour aider l’usager à comprendre cette classification fonctionnelle.

Références

No reference sources found.