Manuel de sécurité routière
Un manuel pour les praticiens et les décideurs
pour la mise en œuvre d’une infrastructure sûre
L’établissement d’objectifs peut s’appuyer sur les résultats estimés des plans d’actions adoptés. Alternativement (et le plus fréquemment), les objectifs peuvent être simplement « idéaux » par nature.
La plupart des PRE auront adopté un objectif de sécurité routière nationale sur une période de cinq à dix ans. La stratégie associée (plan d’investissement) pour atteindre l’objectif cibles sera probablement soutenue par des plans d’action sur deux ou trois ans, ce qui permet l’examen périodique et l’ajustement des priorités pendant la durée retenue pour la stratégie.
Dans certains cas, l’objectif sera une déclaration d’aspiration (« idéale »), descendante (du haut en bas, top-down), et la stratégie et les actions permettant de l’atteindre devront être déterminées promptement, mises en œuvre progressivement, et les progrès examinés régulièrement.
La fixation d’un objectif par le haut (top-down) , tel que l’objectif de réduction de 50% des décès entre 2011 et 2020 de la Décennie d’Action (Chapitre 6.6.3) sera beaucoup plus probablement utilisé dans les PRFI, du fait qu’ils ne disposent souvent que de peu d’informations fondées sur le retour d’expérience pour démarrer leurs efforts d’amélioration de la sécurité routière. Cependant, cette approche « idéaliste » peut souvent avoir des résultats à court et moyen terme décevants.
Dans le cas des PRE possédant de bonnes données sur les accidents, une compréhension des problèmes, les connaissances sur les solutions possibles, et de bonnes ressources dans les agences et la communauté de la recherche, des objectifs plus spécifiques peuvent être fixés. Dans certains PREs, les objectifs seront fondés sur un ensemble négocié d’actions stratégiques avec un impact calculé (estimé) sur les décès et les blessures graves. Il y aura des relations établies entre l’administration et le niveau politique, avant l’adoption et la publication des cibles (et de la stratégie associée), pour examiner et résoudre les problèmes de mise en œuvre (souvent au-delà des impacts du transport) qui autrement pourraient faire dérailler ou paralyser les initiatives. Ceci peut être considéré comme établir un objectif de manière ascendante (bottom-up).
La définition ascendante d’une stratégie potentielle en vue de fixer un objectif quantitatif est une approche utilisée dans nombre de juridictions en pointe. Cette méthode (Austroads, 2013) vise généralement à déterminer les tendances actuelles des accidents sur la base des évènements récents pour prévoir la circulation routière dans le temps, et tout changement potentiel dans les modes d’utilisation de la route (par exemple, changements dans le volume ou la composition de la circulation dus à la croissance économique). Elle cherche aussi à faire des hypothèses sur les taux futurs de décès en fonction de ces prévisions. Ceci permet de faire une prévision de référence montrant le changement attendu du nombre de décès sur la période de la stratégie, en l’absence de toute action. Ceci est souvent appelé le scénario au fil de l’eau ; c’est une étape importante du processus de définition de la stratégie, car sans cette estimation, il est impossible de prédire les gains de sécurité routière obtenus grâce aux initiatives planifiées. Cette situation de référence permet de tenir compte des changements dans la croissance de la population, de l’exposition au risque sur le réseau routier, et de divers facteurs économiques.
Les conséquences de ces prévisions sur les objectifs généraux de transport doivent être examinés, en particulier celles relatives à la santé publique, par exemple, les changements dans les modes de déplacement, les impacts sur les niveaux d’activité ou les impacts environnementaux (Racioppi et al, 2004). Des liaisons avec d’autres secteurs peuvent aussi être nécessaires, plus particulièrement celui de la santé, pour déterminer quelles autres politiques pourraient avoir un impact sur le scénario de référence.
Bien que cette approche ascendante soit un moyen puissant d’encourager un examen détaillé des options possibles, ceci ne garantit pas que les actions proposées soient acceptées au niveau politique. Les dirigeants peuvent ne pas les considérer comme nécessaires pour atteindre un objectif plus ambitieux. Quelle que soit l’approche, ascendante ou descendante, utilisée pour fixer un objectif, les connaissances et l’expérience étayeront la stratégie, le développement et la mise en œuvre du plan d’action. Les deux approches peuvent permettre une amélioration des résultats de sécurité routière. Cependant, tant qu’une capacité institutionnelle suffisante pour gérer la sécurité routière n’est pas en place dans un pays, il est peu probable qu’une approche ascendante soit faisable (chapitre 6.3). Pour cette raison, pour les phases de mise en place et de début de croissance de l’investissement, une approche descendante pour fixer un objectif sera probablement la seule option possible pour les PRFI (Tableau 6.4). Elle restera cependant une approche « idéaliste » ayant peu de chances de succès.
À première vue, il semblerait utile que les PRFI fondent leur sélection d’objectifs à court terme avec un horizon de cinq ou dix ans actuellement adoptés par les pays suivant les bonnes pratiques. Cependant, cette approche présente des inconvénients majeurs, car :
Les PRFIs peuvent souhaiter établir un objectif à court terme pour les premières années de la phase de mise en œuvre, parce que cette aspiration peut amener une amélioration. Cependant, ils doivent reconnaître qu’il est hautement improbable que cet objectif puisse être atteint avant que leur capacité de gestion de la sécurité routière ne soit renforcée.
Les plans et les objectifs établis au niveau local ou de l’état/région devraient refléter l’approche nationale, avec les variations correspondant aux contextes et intentions locales. De cette manière, une compréhension plus cohérente par la population, les praticiens de la sécurité routière et les politiciens aux divers niveaux du gouvernement peut être établie. Toutefois, l’établissement d’objectifs au niveau local (distincts du niveau état/région) sera probablement problématique, parce que à ce niveau, les données, les ressources et le niveau d’expertise ne sont généralement pas aisément disponibles. De ce fait, l’adoption d’objectifs se fait souvent au niveau national ou de l’état/région.
En Australie, l’État de l’Australie Occidentale a choisi une approche ascendante pour l’établissement d’objectifs intermédiaires (Encadré 6.9).
En Australie, l’état de l’Australie Occidentale (WA, Western Australia) a développé une stratégie de sécurité routière fondée sur le Système Sûr, pour la période de 2008 à 2020. Un modèle mathématique a été construit pour montrer les avantages projetés de la mise en œuvre d’une combinaison de contremesures fondées sur les meilleures pratiques du Système Sûr. Plusieurs options et combinaisons d’avantages dérivés d’une gamme de choix de politique et de financement ont été proposées au public à travers un programme exhaustif de consultations, à mesure que la stratégie était développée.
La philosophie du Système Sûr en Australasie aspire à prévenir à long terme les décès et les blessures graves sur le réseau de transport routier. L’approche de WA affirme que considérer la sécurité routière sous cet angle aura pour résultat de nouvelles conceptions de routes fondamentalement sûres. Ces conceptions et protocoles d’exploitation sûrs peuvent faire avancer à grand pas la sécurité routière, contrairement aux progrès incrémentaux qui caractérisaient les approches traditionnelles.
En utilisant des estimations fondées sur le retour sur expérience et des données récentes sur les accidents, le modèle mathématique a projeté des réductions futures d’accidents graves pour chaque année entre 2008 et 2020. Ces réductions projetées ont été cumulées pour toute la durée de la stratégie pour chaque initiative, en supposant que seule celle-ci est mise en œuvre. Une gamme complète d’options de meilleures pratiques du Système Sûr, obtenues à partir de combinaisons de routes et d’abords de route sûrs, de vitesses sûres, de véhicules sûrs et d’une utilisation sûre de la route, a été créée pour permettre la comparaison des réductions d’accidents graves.
La principale mesure de la valeur de chaque option était le nombre total prédit d’accidents graves évités sur la durée de la stratégie. Ces réductions ont été estimées par rapport au nombre d’accidents graves à attendre en l’absence d’une stratégie significative pour la sécurité routière. (une compensation a été prévue pour l’effet combiné de la croissance de la circulation et de la réduction des accidents graves dues à l’augmentation de la motorisation, et pour l’impact des retards potentiels dans la mise en œuvre d’une mesure). Le modèle a fourni les deux résultats suivants :
Une combinaison optimale de ces initiatives fondées sur le Système Sûr a été proposée. Si elle avait été pleinement adoptée, cette combinaison aurait permis en 2020 une réduction estimée des accidents graves en Australie Occidentale d’environ 50% par rapport au niveau de 2006.
Source : MUARC (2008).
La méthode la plus utilisée pour fixer un objectif est l’approche descendante ou « idéale », qui est en fait la seule faisable durant la phase de mise en place, et peut aussi servir efficacement durant les phases de croissance et de consolidation. La Suède utilise par exemple un mélange d’approches ascendantes et descendantes pour établir ses objectifs de résultats de la sécurité routière intermédiaires (Encadré 6.10).
En 2012, la Suède a effectué un examen de sa stratégie 2010 - 2020, de ses objectifs (d’alors) intermédiaires et de ses indicateurs de résultats, pour s’assurer que les objectifs de résultats de sécurité routière restent ambitieux et réalistes. La réduction du nombre des décès pour les trois années antérieures à 2012 avait dépassé les résultats prédits et les objectifs de progrès vers 2020.
Les agences se réunissent six fois par an pour suivre les résultats de sécurité routière par rapport aux objectifs adoptés pour 2020, pour partager les connaissances et pour coordonner les efforts. L’objectif initial en matière de sécurité routière spécifiait un objectif intermédiaire de réduction de moitié des décès et d’un quart du nombre des blessures graves entre 2007 et 2020, et les mesures concernant les enfants devaient avoir une priorité spéciale.
Depuis l’adoption de ces objectifs intermédiaires, les progrès ont été gérés et suivis au moyen de 13 indicateurs de résultats. Les résultats ont été présentés, analysés et discutés lors de conférences annuelles depuis 2009. L’analyse des résultats de 2011 a pris en considération les récentes tendances passées et les options futures pour les résultats, et montré que l’objectif actuel de nombre maximum de décès en 2020 serait atteint d’ici là grâce aux tendances prévisibles pour les véhicules et l’infrastructure. Ceci ne prenait pas en compte les contributions attendues d’autres mesures (telles que usagers, vitesses, soins post-accident, etc.). La plus grande amélioration serait réalisée dans la protection aux usagers de la route.
L’analyse montre qu’il est possible d’élever les objectifs de réduction jusqu’à 50% des décès et 40% des blessures très graves entre 2010 et 2020, mais ceci exigerait des mesures au-delà de celles du scénario initial, et représenterait environ 70 décès et 210 blessures très graves de moins chaque année. Le graphique montre des objectifs alternatifs pour l’évolution du nombre de décès par accident de la route d’ici à 2020.
Les raisons pour effectuer une analyse sont, entre autres, que :
Conclusions de l’analyse :
Pour qu’une stratégie de sécurité routière soit un succès, des objectifs quantitatifs ambitieux mais réalistes sont nécessaires, parce qu’ils sont associés de manière significative à l’amélioration des résultats de sécurité routière (Chapitre 2). Ils doivent également être mesurables afin que le niveau d’aspiration soit clair, que la mesure dans laquelle l’objectif a été atteint puisse être déterminée, et, dans le cas contraire, que l’écart avec l’objectif puisse être mesuré..
Dans les dernières décennies, des objectifs quantifiés au regard de la sécurité routière ont été fixés dans plusieurs régions et pays, dont la Finlande, la France, les Pays-Bas, la Suède, le Royaume-Uni, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Irlande et les États-Unis (Chapitre 2).
L’Irlande a obtenu une réduction substantielle du taux des décès par accident de la route dans les dernières années, et s’est positionnée comme l’un des pays de l’Union européenne ayant les meilleurs résultats. Sa stratégie, adoptée pour la période 2013-2020, comportait une réduction de 24% des décès et de 40% des blessures graves sur cette période (Autorité de la Sécurité Routière, 2013).
De nombreux pays ont adopté un objectif de réduction de 50% des décès et des blessures graves entre 2011 et 2020 de la Décennie d’Action des Nations-Unies. L’Indonésie par exemple a adopté cet objectif de réduction de 50% (des victimes par rapport à la population) ainsi que la stratégie et les actions politiques nécessaires pour l’atteindre d’ici 2020. Elle a aussi établi une cible de réduction de 80% du taux de décès par rapport à la population d’ici à 2035, et identifié les actions politiques permettant de l’atteindre. Ces objectifs et ces actions politiques sont exposés dans le Plan Directeur pour la Sécurité Routière 2011-2035 (République d’Indonésie, 2011) pour la période jusqu’à 2015 et ensuite pour chaque quinquennat jusqu’à 2035. Les progrès ont été lents. Les mesures, l’évaluation et la reddition de comptes sur les progrès par rapport au Plan Directeur ont été accrues de manière considérable, en 2014, avec une attention particulière au détail des activités (contenu, calendrier, ressources) nécessaires pour réaliser les actions du plan.
Les plans nationaux doivent avoir une flexibilité suffisante pour accommoder les préférences locales, et pour que les priorités puissent être identifiées et intégrées dans les plans locaux.
En plus des objectifs de résultats généraux, finaux, pour les décès et les blessures graves, fixés dans la stratégie, des objectifs de résultats peuvent aussi être fixés pour différents groupes d’usagers exposés au risque, ou pour diverses catégories de risques selon les piliers du Système Sûr. Par exemple, l’actuelle stratégie Safer Journeys (Déplacements Plus Sûrs) 2010-2020 de la Nouvelle-Zélande (Ministère des Transports, 2010) vise à une réduction de 40% du taux de décès des jeunes adultes et de 20% des décès par accident dus à l’abus de drogues ou d’alcool. (Tableau 6.5).
Objectif visé | Objectif de réduction |
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Augmenter la sécurité des jeunes conducteurs | Réduire le taux des décès sur la route chez les jeunes adultes de 21 par 100 000 habitants à un taux similaire à celui des jeunes australiens, de 13 pour 100 000 habitants |
Réduire la conduite sous l’effet de la drogue ou de l’alcool | Réduire le taux de décès dus à la conduite sous l’effet de l’alcool ou de la drogue, actuellement de 28 morts par million d’habitants, à un taux similaire à celui de l’Australie, de 22 morts par million d’habitants
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Parvenir à des routes et des abords de route plus sûrs | Réduire significativement les risques d’accidents sur les routes à haut risque de la Nouvelle-Zélande |
Parvenir à des vitesses plus sûres | Réduire significativement l’impact de la vitesse dans les accidents en réduisant le nombre d’accidents attribués à l’excès de vitesse en général ou à l’excès de vitesse dans certaines conditions |
Augmenter la sécurité en motocyclette | Réduire le taux d’accidents en motocyclette ou en vélomoteur de 12 par 100 000 habitants à un taux similaire à celui de l’état australien de Victoria, qui a les meilleurs résultats avec un taux de 8 décès par 100 000 habitants |
Améliorer la sécurité du parc de véhicules légers | Faire entrer dans le pays plus de nouveaux véhicules avec les derniers équipements de sécurité. L’âge moyen de 12 ans du parc néo-zélandais de véhicules légers devra aussi baisser à un niveau similaire à celui de l’Australie, qui est de 10 ans |
Améliorer la sécurité des piétons et des cyclistes | Obtenir une réduction du risque d’accident des piétons et en particulier des cyclistes, et encourager en même temps l’utilisation de ces modes avec une infrastructure routière plus sûre |
Améliorer la sécurité des véhicules lourds | Réduire le nombre d’accidents graves impliquant des véhicules lourds |
Réduire l’impact de la fatigue et aborder la distraction | Faire de la gestion de la distraction et de la fatigue une part habituelle du comportement d’un conducteur sûr et compétent |
Réduire l’impact des conducteurs dangereux | Réduire le nombre de contrevenants récidivistes conduisant sous l’effet de l’alcool ou de la drogue, et les courses de rue
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Augmenter le niveau de port des systèmes de retenue pour enfants | Parvenir à une utilisation correcte et à un taux de 90% de port des systèmes de retenue pour enfants, et rendre l’utilisation des sièges rehausseurs pour enfant obligatoire pour les enfants de 5 à 10 ans
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Augmenter la sécurité des personnes âgées de la Nouvelle-Zélande | Réduire le taux de décès des personnes âgées néo-zélandaises de 15 par 100 000 habitants à un taux similaire à celui de l’Australie, de 11 morts par 100 000 habitants. |
Austroads (2013) analyse l’intérêt de prédire la croissance probable de la circulation, comme par exemple les impacts attendus d’une augmentation du nombre de camions. En l’absence d’intervention, l’augmentation de la circulation de véhicules lourds conduira à une augmentation des blessés sur la route. Il est important de prendre en compte ces impacts pour estimer les objectifs de résultats généraux de sécurité routière, en particulier ceux fixés par une approche ascendante.