5.5 QUALITÉ DES DONNÉES ET SOUS-DÉCLARATION

Lors de la collecte, de la gestion ou de l'utilisation des données de sécurité routière, il est important de se rappeler que leur qualité peut être compromise à n'importe quelle étape du processus. Cela peut être dû à :

  • Données manquantes ou incomplètes, ou erreurs dans la collecte et la saisie des données.
  • Différences dans l'application et la compréhension des définitions des variables.
  • Sous-déclaration (WHO, 2010).

Une mauvaise qualité des données et une sous-déclaration des données d'accidents ont plusieurs conséquences (Langford, 2005; Derriks & Mak, 2007). Parmi celles-ci :

  • Un nombre réduit de victimes diminuera l'importance de la sécurité routière en tant que question de santé publique et, par conséquent, attirera moins de financement.
  • Des informations trompeuses peuvent amener les autorités routières à prendre des décisions inefficaces et erronées en matière de sécurité routière et à fixer des priorités inappropriées.
  • Les taux de réussite des contre-mesures mises en œuvre ne peuvent être pleinement évalués.
  • Il est impossible de faire des comparaisons précises entre les juridictions et les pays.

Cette section examinera les facteurs qui affectent la qualité des données, ainsi que les méthodes permettant d'étudier les incohérences dans celles-ci et d'améliorer leur qualité. Bien que cette section se concentre sur les données relatives aux accidents, les questions de qualité concernent également les données non liées aux accidents, et il convient d'être prudent dans leur collecte et leur interprétation.

DONNÉES MANQUANTES OU INCOMPLÈTES ET ERREURS

Les données peuvent parfois être enregistrées de manière incorrecte par la police ou le personnel chargé de la saisie. Il est important de noter que la personne qui remplit le formulaire sur place n'est généralement pas celle qui saisit les données dans la base de données (Derriks & Mak, 2007). Les données manquantes, incomplètes et incorrectes sont souvent involontaires et résultent d'une erreur humaine. En raison des priorités et de la charge de travail des agents, la police ne peut pas toujours se rendre sur le lieu d'un accident ou n'a pas toujours le temps de remplir complètement le rapport d'accident (ce qui peut être aggravé par des formulaires de collecte de données inutilement longs). Des définitions de variables peu claires, comme indiqué dans la section suivante, peuvent également entraîner une saisie incomplète ou incorrecte des données. Des problèmes similaires peuvent également se produire avec des données non liées aux accidents. Par exemple, les données sur les actifs routiers peuvent être mal codées, ou des erreurs de saisie peuvent être commises lors de l'analyse des données sur la vitesse.

DIFFÉRENCES DANS LES DÉFINITIONS DES VARIABLES

La définition de chaque variable (type d'accident, gravité des blessures, lieu, etc.) peut différer selon les sources de données (par exemple, les dossiers d'accidents de la police, les dossiers des hôpitaux, les déclarations de sinistre), les juridictions et les pays. Cela peut entraîner des complications dans l'identification des accidents d'intérêt, la comparaison des ensembles de données et l'évaluation de la qualité des données au sein d'un ensemble de données. Les définitions courantes qui prêtent à confusion sont examinées ci-dessous.

SÉVÉRITÉ DES BLESSURES

Les catégories les plus communes de gravité des blessures sont : mortelle, grave/sévère et légère/mineure. Cependant, les méthodes exactes utilisées par la police et le personnel hospitalier pour déterminer quelles blessures correspondent à quelles catégories de gravité peuvent être problématiques.

Une question récurrente lors de la comparaison de données provenant de différents pays est le délai qui s'applique aux blessures et aux accidents « mortels ». La règle des 30 jours définit un accident mortel comme étant le décès immédiat ou dans les 30 jours suivant une blessure causée par un accident de la route, à l'exclusion des suicides. La règle des 30 jours est la classification la plus couramment utilisée dans le monde, en particulier par les pays à revenu élevé et intermédiaire (WHO, 2010). D'autres pays, en particulier les pays à revenu faible, utilisent les définitions « sur place » ou « dans les 24 heures » pour classer les décès, ce qui peut créer des incohérences entre les bases de données. Des facteurs d'ajustement ont été développés pour tenir compte de cela (WHO, 2010) ; cependant, ceci suppose que des proportions similaires d'usagers de la route vulnérables existent dans chaque système, ce qui n'est pas nécessairement le cas (WHO, 2010).

La règle des 30 jours implique également une certaine coordination entre les policiers qui se sont rendus sur place et le personnel hospitalier afin de vérifier l'état du patient après 30 jours. Ce n'est souvent pas le cas en raison des différentes priorités et charges de travail des personnes concernées (WHO, 2010). Le même problème se pose en ce qui concerne la classification des blessures non mortelles : une blessure grave/sévère est souvent classée comme « admission à l'hôpital » ; cependant, la police la classe souvent comme « personne quittant le lieu de l'accident en ambulance » (Langford, 2005).

De même, il existe des variations dans ce que les hôpitaux considèrent comme une « blessure grave » (voir IRTAD (2011) pour une analyse détaillée de cette question). Un nombre croissant de patients sont orientés vers des cliniques spécialisées (par exemple, des cliniques de traitement des fractures) au lieu d'être admis à l'hôpital. Par conséquent, dans certaines bases de données, il est difficile de déterminer si les tendances à la baisse des admissions résultent d'un changement de la gravité des accidents ou d'une modification du système de gestion des soins de santé (Ward et al., 2006). L'IRTAD (2011) recommande que les blessures graves soient déterminées par le personnel hospitalier qualifié et non par la police sur le lieu de l'accident. En réalité, ces vérifications de la gravité des conséquences des accidents ne sont souvent pas effectuées, et c'est à la police présente sur place qu'il revient de déterminer la gravité des conséquences.

Dans certains pays, les accidents « avec dommages matériels uniquement » ou « sans blessés » doivent être signalés, et dans d'autres non. Parfois, le niveau de dommages doit dépasser un certain seuil monétaire avant d'être signalé. Ces informations supplémentaires peuvent être utiles, notamment pour identifier le lieu de l'accident et ses causes probables, bien qu'elles entraînent un coût plus élevé en termes de collecte et de saisie des données.

ACCIDENTS DE LA ROUTE

La définition d'un accident de la route peut inclure ou exclure ceux impliquant des véhicules non motorisés. Elle peut également exclure les accidents qui se produisent sur des routes privées ou hors des routes, comme dans les parcs et les parkings. D'autre part, certains pays collectent des informations indépendamment de la localisation où l'accident s'est produit (WHO, 2010).

Un autre problème courant est que les dossiers des patients en consultation externe se concentrent souvent uniquement sur la nature de la blessure (par exemple, fracture du fémur) et négligent parfois de mentionner la cause externe de la blessure. Il peut alors être pratiquement impossible d'identifier les cas qui sont liés à un accident, ce qui réduit également les informations disponibles pour identifier et traiter l’emplacement des accidents (WHO, 2010).

LOCALISATION

Il existe plusieurs méthodes pour déterminer la localisation d'un accident (comme indiqué dans la Section 5.3 – Etablissement et maintenance des systèmes de données sur les accidents). Chacune de ces méthodes peut être sujette à des erreurs, ce qui peut conduire à des enregistrements inexacts ou non spécifiques de la localisation des accidents par la police. Cela peut rendre difficile l'évaluation de l'importance de la localisation de certains accidents.

SOUS-DÉCLARATION

La sous-déclaration peut se produire à tout moment au cours des processus de collecte et de saisie des données. L'OMS (2010) examine en détail les facteurs contribuant à la sous-déclaration dans les données de la police et des établissements de santé. La sous-déclaration varie souvent en fonction de la gravité de l'accident, du moyen de transport, des types d'usagers de la route impliqués, de l'âge des victimes et du lieu de l'accident. Les conclusions communes sont les suivantes (Langford, 2005; Ward et al., 2006) :

  • Les accidents impliquant un seul véhicule sont moins susceptibles d'être signalés que les accidents impliquant plusieurs véhicules.
  • Les taux de déclaration varient selon le type d'hôpital (par exemple, rural, privé, etc.).
  • Plus la gravité des blessures est élevée, plus les taux de déclaration sont aussi élevés.
  • Plus la victime est âgée, plus les taux de déclaration sont élevés.

Ce problème de sous-déclaration peut être important dans tous les types de pays, mais il est particulièrement préoccupant dans les PRFI (voir Encadré 5.4 et Encadré 5.5).

ENCADRÉ 5.4 : SOUS-DÉCLARATION DES DONNÉES SUR LES ACCIDENTS

Le Rapport de situation mondial (WHO, 2023a) utilise des estimations basées sur un modèle de régression pour les pays qui ne communiquent pas les enregistrements de décès à l'OMS dans un format spécifié. Dans de nombreux cas, les estimations de l'OMS différaient considérablement des décès sur la route officiellement signalés. On estime que plusieurs pays n'enregistrent qu'environ 15 à 20 % des décès, tandis que dans un cas, l'estimation n'était que de 2,5 %. Il est évident qu'il faut faire plus pour améliorer les taux de déclaration. L'étude de cas sur le RCVIS au Cambodge (voir Établissement ou amélioration des bases de données sur les accidents), publiée dans l'édition 2013 du Rapport de situation mondial (WHO, 2013), met en évidence une approche qui peut être adoptée pour améliorer les taux de déclaration. Cette approche, qui consistait à collecter des données à partir de deux sources principales, a permis d'améliorer considérablement la situation au Cambodge. Une approche similaire a été adoptée en Indonésie. En 2009, des mesures ont été prises pour améliorer la collecte des données, notamment en combinant les données de la police avec celles des assurances et des hôpitaux. Comme l'indique la figure ci-dessous, la communication des données s'est considérablement améliorée à la suite de cette action.

FIGURE 5.5 : NOMBRE DE DÉCÈS PAR AN EN INDONÉSIE (SOURCE : WHO, 2013)

Cependant, comme l'indique l'OMS (2013), cette activité a eu pour conséquence involontaire d'indiquer une augmentation considérable des accidents de la route en 2010. Cette augmentation apparente n'est pas le résultat d'une hausse réelle des décès sur la route, mais plutôt d'une amélioration de l'enregistrement des décès existants. Plusieurs pays connaissent des augmentations apparentes similaires du nombre de décès sur la route, alors qu'en réalité, le niveau de précision des données s'est amélioré. L'amélioration des données permet de mieux identifier et gérer les problèmes de sécurité routière. Cependant, l'impression que le nombre d'accidents augmente considérablement est un problème qui doit également être géré.

Source: WHO, (2013).

ENCADRÉ 5.5 : DIFFÉRENCES ENTRE LES DONNÉES POLICIÈRES ET LES DONNÉES HOSPITALIÈRES SUR LES DÉCÈS SUR LA ROUTE AU MEXIQUE

Au Mexique, l'Institut national de statistique et de géographie (INEGI) génère les statistiques officielles, en se basant sur les informations collectées auprès des services de police et de justice locaux et de la police fédérale dans le cas des accidents sur les autoroutes fédérales. Les décès sur le lieu de l'accident sont enregistrés à partir de cette source d'information. Pour 2012, cette source a permis d'obtenir un chiffre de 10 008 décès. En outre, le ministère de la santé produit une base de données à partir des certificats de décès, enregistrant les causes des décès dus aux accidents de la route. Cette deuxième source permet d'enregistrer tous les décès causés par des accidents de la route, soit 17 653 en 2012. La différence entre les chiffres des deux sources correspond aux décès qui ne surviennent pas sur le lieu de l'accident mais quelque temps après, soit 7 645 en 2012. En outre, le chiffre de 17 653 décès pour 2012 sous-estime le nombre total de décès dus aux accidents de la route, car pour certains des décès survenus quelque temps après l'accident, une cause différente de l'accident de la route a été enregistrée sur le certificat de décès (par exemple, arrêt cardiorespiratoire, infection, mort cérébrale, défaillance d'un organe).

En règle générale, plus le niveau de gravité est élevé, plus le taux de déclaration est élevé. De nombreux pays (en particulier les PRE) enregistrent tous les accidents mortels et disposent de registres fiables sur les blessures plus graves (par exemple, les hospitalisations). Les informations sur les blessures légères sont généralement moins bien documentées. Un moyen rapide de déterminer l'ampleur probable des taux de sous-déclaration des accidents non mortels consiste à comparer les ratios des accidents mortels à d'autres types d'accidents entre les pays ou les régions. Bien qu'un certain nombre de facteurs doivent être pris en compte (par exemple, les types de routes, le parc automobile, les vitesses moyennes, etc.), l'écart entre ces ratios peut indiquer des différences dans les taux de déclaration.

ÉVALUATION DE LA QUALITÉ DES DONNÉES

Les ensembles de données peuvent être évalués pour déterminer les niveaux de sous-déclaration et la qualité en les comparant à d'autres bases de données. Une comparaison courante consiste à confronter les données de la police sur les accidents et les données des hôpitaux sur les patients hospitalisés. Une autre source consiste à utiliser les données des demandes d'indemnisation des assurances. Bien que ces évaluations soient très utiles, il n'est pas possible de déterminer le nombre réel d'accidents de la route, car il n'y a aucun moyen de connaître l'intersection exacte des deux bases de données (Derriks & Mak, 2007). Certains accidents seront enregistrés dans les bases de données des rapports d'accidents établis par la police, mais comme les victimes ne sont pas toujours envoyées ou admises à l'hôpital (par exemple, dans le cas d'accidents n'ayant causé que des dommages matériels ou des blessures légères), elles n'apparaissent pas toujours dans la base de données de l'hôpital. À l'inverse, il y aura sans aucun doute des dossiers d'accidents hospitaliers qui ne seront pas liés à un accident.

La correspondance des données hospitalières et policières permet de vérifier l'exactitude des cas (en s'assurant que les informations fournies dans les deux bases de données sont les mêmes) et fournit également une base pour estimer la proportion de cas non signalés dans les fichiers de la police et des hôpitaux, comme le montre le diagramme ci-dessous (Derriks & Mak, 2007).

FIGURE 5.6 : COMPARAISON DES DONNÉES HOSPITALIÈRES ET POLICIÈRES (SOURCE : DERRIKS & MAK, 2007)

 

Un problème commun à cette technique est que certains pays n'autorisent pas la divulgation des noms des victimes et parfois même des codes d'identification personnels. Les cas ne peuvent alors être reliés que par d'autres caractéristiques, telles que l'heure, la date et le lieu (Langford, 2005). Les données ne peuvent être maintenues de manière fiable que si leur qualité est régulièrement contrôlée. L'OMS (2010) et l'IRTAD (2011) fournissent des détails sur les méthodes d'évaluation de la qualité des données et des taux de sous-déclaration.

AMÉLIORATION DE LA QUALITÉ DES DONNÉES

Il n'est généralement pas possible de collecter avec succès des données pour chaque accident sur un réseau, mais il n'est pas nécessaire de signaler tous les accidents pour pouvoir tirer des conclusions et identifier les priorités clés pour améliorer la sécurité routière (Langford, 2005 ; Vandervalk et al., 2017). Cependant, plus l'ensemble de données est complet, plus la fiabilité est élevée.

Les principales étapes pour améliorer la qualité des données comprennent :

  • Révision des définitions des variables, afin de s'assurer qu'elles puissent être comprises et appliquées facilement.
  • Renforcer l'obligation de signaler les accidents, par exemple en faisant une obligation légale.
  • Améliorer les outils de collecte de données (par exemple, les documents et les appareils de rapport d'accident, les méthodes de codage).
  • Collecter des informations précises sur la localisation.
  • Améliorer la formation de la police et du personnel chargé de la saisie des données.
  • Assurer que les données collectées sont précises et fiables grâce à des mesures d'assurance de la qualité.

La section 3.4.1 de l'OMS (2010) explique en détail comment mettre en œuvre les étapes ci-dessus. Elle présente des solutions efficaces telles que les avantages des systèmes de saisie de données avec contrôles intégrés pour minimiser les erreurs, et la collaboration avec la police afin qu'elle comprenne la valeur et l'importance de cette tâche et son rôle dans celle-ci. Il est également important de reconnaître qu'il faut trouver un équilibre dans le nombre de détails que la police doit enregistrer sur le lieu d'un accident. Trop de questions conduiront à des rapports d'accident incomplets ou manquants, tandis que trop peu limiteront les détails essentiels nécessaires pour une analyse ultérieure.