10.5 COMBINER LES DONNÉES SUR LES ACCIDENTS ET CELLES SUR LES ROUTES
L’approche fondée sur les données historiques sur les accidents (réactive) ainsi que l’évaluation proactive du risque donnent des informations sur les sites probables de futurs accidents. Combiner ces deux approches peut fournir une meilleure image des sites actuels à haut risque, et de ceux où des accidents mortels et graves se produiront le plus probablement dans le futur. Plusieurs approches sont en train d’émerger dans le monde, et essaient de combiner ces méthodes pour permettre une meilleure compréhension du risque d’accidents.
Une approche « systémique » des projets de sécurité est utilisée aux États-Unis depuis le milieu des années 1990, d’abord mise en œuvre par le Département des transports de l’état de Washington, puis adoptée plus récemment à l’échelle nationale (Preston et al., 2013). Cette approche systémique met l’accent sur des solutions à l’échelle du réseau et a été appliquée par de nombreux états américains. Un outil de sélection des projets de sécurité systémique a été développé par la Federal Highway Administration aux États-Unis. L’approche comporte plusieurs étapes, s’appuyant à la fois sur les données d’accidents et sur d’autres sources d’information pour identifier et traiter le risque. Ces étapes sont :
- L’analyse des données sur les accidents : par réseau (au niveau national ou local), par type de route, par site, et par type de site (urbain ou rural, séparé ou non séparé, intersection ou section), avec une attention spéciale aux accidents graves.
- L’identification du lieu des accidents :
- en sélectionnant les types d’accidents et les installations ayant le plus grand nombre d’accidents graves dans l’ensemble du réseau ;
- en identifiant et en évaluant les facteurs de risque d’accident par l’examen des volumes de trafic, des caractéristiques de la chaussée et des intersections, des limites de vitesse affichée, etc. ;
- en classant les sites par ordre de priorité à partir d’une évaluation du risque.
- La sélection de contremesures pour chaque type d’accident ciblé et l’évaluation de leur efficacité, le coût de mise en œuvre et d’entretien.
- La priorisation de programmes : à travers un processus de décision pour la sélection des contremesures, en élaborant des projets de sécurité et en priorisant leur mise en œuvre.
- Le classement des projets : en déterminant la répartition des financements entre les projets identifiés à partir de l’analyse et l’évaluation systémique du risque.
- L’évaluation de la cohérence (si le programme satisfait les objectifs de dépense), les changements dans les types ciblés d’accidents graves, et le résultat des contremesures.
L’approche systémique identifie des sites de traitements qui ne sont pas typiquement identifiés avec les techniques traditionnelles d’analyse réactive (voir Section 10.3 - Identification fondée sur les accidents (approche réactive)). L’évaluation du risque est le pilier central de cette approche, ce qui implique la collecte de données sur les caractéristiques de la route et du trafic liées aux facteurs de risque et aux types d’accidents sélectionnés. Ceci est utilisé pour aider à identifier les sites ou portions de route avec la potentialité d’accidents graves. Il est suggéré que cette information soit collectée soit à partir des bases de données existantes sur les routes et le trafic, soit au moyen d’un examen sur le terrain. Dans un exemple donné par Preston et al (2013), une évaluation des virages sur un réseau rural a identifié plusieurs sites ayant des caractéristiques communes de risque de sites d’accidents graves, mais sans qu’aucun accident grave n’ait été documenté. Il est à noter que cette approche peut être utilisée avec ou sans données d’accidents.
Harwood et al (2014) ont examiné l’approche systémique, et identifié plusieurs points forts ainsi que des domaines susceptibles d’être améliorés. Ils estiment que cette approche requiert moins de données sur les routes que d’autres outils, n’a pas besoin de données sur les accidents pour identifier des sites d’accidents, et offre une plus grande flexibilité pour cibler les facteurs de risque et les types d’accident. Cependant, cette flexibilité peut aussi être considérée comme une possible faiblesse, parce qu’il est nécessaire de compter sur les utilisateurs pour identifier les facteurs de risque potentiel et les peser, y compris des questions telles que le volume de trafic, et pour effectuer l’analyse coût-avantage (une tâche optionnelle), dans le cadre de la sélection des interventions.
Le Modèle national australien d’évaluation du risque (ANRAM) fournit aux agences du pays un système cohérent au niveau national pour l’identification, la mesure et la reddition de comptes sur le risque d’accidents graves. L’ANRAM a été développé en étroite consultation avec les agences routières et l’Association automobile australienne (AAA) pour s’assurer que les résultats du système puissent servir à la préparation de futurs programmes d’ingénierie de sécurité routière.
Ceci était particulièrement important pour les routes rurales et locales où les accidents graves sont généralement trop éparpillés pour attirer un traditionnel financement de programmes de points noirs. Cependant, il a aussi été reconnu que ces accidents dispersés représentent une large proportion de tous les accidents graves et mortels.
L’ANRAM réunit plusieurs approches, issues de l’évaluation traditionnelle fondée sur les accidents, des programmes d’évaluation des routes, et du Highway Safety Manual (HSM) des États-Unis (AASHTO, 2025).Le HSM propose une méthode qui identifie le niveau de performance en matière de sécurité pour différents types de routes. La variation individuelle par rapport à la fréquence moyenne des accidents, peut être due aux variations des caractéristiques routières et des conditions d’exploitation de la circulation de chaque site qui diffèrent de la moyenne représentée par le modèle, ainsi qu’à des erreurs statistiques. Cette variation des caractéristiques de la route peut être mesurée et son effet calculé, ce qui, dans le cas de ANRAM, se fait en utilisant le modèle iRAP (AusRAP en Australie). Ce procédé donne une prédiction du nombre d’accidents fondé sur les caractéristiques de la route. Cette évaluation proactive du risque constitue l’un des intrants clés pour l’identification des sites d’accidents graves et mortels.
La structure de base du modèle ANRAM est présentée à la Figure 10.22. Des informations complémentaires sur cette approche sont disponibles dans Steinmetz et al. (2014).

En Nouvelle-Zélande, le Guide des routes Rurales à haut risque (High-Risk Rural Roads Guide, NZTA, 2011) donne des conseils sur l’utilisation des données d’accident et des approches de prédiction du risque (telles que KiwiRAP) pour déterminer les sites à haut risque.
L’approche néo-zélandaise suppose le calcul et l’évaluation des risques collectif et personnel (ou individuel). Le risque collectif indique la fréquence des accidents telle que vécue par la population, c’est-à- dire la moyenne annuelle des accidents par kilomètre de route évalué. Le risque personnel ou individuel indique le risque encouru par un usager individuel de la route, exprimé en kilomètres parcourus par un véhicule (par exemple les accidents annuels moyens par véhicule-kilomètre parcouru ou VKT). On peut utiliser les données historiques d’accidents (réactive) et/ou l’évaluation prédictive du risque (proactive). Les deux approches utilisent une échelle pour catégoriser le niveau du risque : élevé (noir), moyen à élevé (rouge), moyen (orange), faible à moyen (jaune) et faible (vert).
En utilisant les données historiques d’accidents (approche réactive) pour identifier les sections les plus à risque le long de la route, le risque collectif et le risque individuel sont classés selon différents niveaux de risque. Ces informations permettent d’identifier les sections de la route présentant le risque le plus élevé.
Alternativement ou en complément, l’approche d’évaluation prédictive du risque peut être utilisée. Le classement par étoiles de KiwiRAP et le système d’attribution de points au niveau de protection de la route évaluent le risque d’accidents sur la base des caractéristiques (ingénierie) de l’infrastructure routière. Les classements par étoiles (qui s’appliquent typiquement à des sections de cinq kilomètres) sont dérivés des scores de protection de la route (qui sont calculés pour chaque segment de 100 mètres). La Figure 10.23 donne un exemple de catégorisation du risqué qui peut être appliqué.

Le guide néo-zélandais (NZTA, 2011) recommande l’analyse des données sur les accidents et l’examen des principaux facteurs de risque pour élaborer un programme de traitement approprié pour traiter le risque identifié. Prendre en considération le risque collectif et personnel d’une route aide à guider l’approche vers le choix des investissements de sécurité (voir la Section 11.2 – Approches au niveau du projet et au niveau du réseau).
En Europe, conformément aux dispositions de la directive 2008/96/CE (telle que modifiée par la directive (UE) 2019/1936), une méthodologie intégrée pour une Évaluation de la sécurité routière à l’échelle du réseau (Network-Wide Road Safety Assessment ou NWA) commune ainsi qu’un système commun de notation de la sécurité pour la classification du réseau routier existant en différentes catégories ont été développés en 2023 (CE, 2023). La méthodologie élaborée intègre des évaluations de la sécurité à la fois proactives (sécurité intégrée) et réactives (sur la base des accidents survenus). La méthodologie proactive de l’évaluation à l’échelle du réseau (NWA) classe les sections de route en fonction de leurs caractéristiques de sécurité intégrée. Les sections sont classées comme suit : risque faible (classe 1), risque intermédiaire (classe 2) et risque élevé (classe 3). La méthodologie réactive de l’évaluation à l’échelle du réseau (NWA) classe les sections de route en fonction des statistiques d’accidents. Les sections ou intersections sont classées comme suit : risque faible (classe 1), incertain (classe 2), risque élevé (classe 3). La méthodologie intégrée NWA, fondée sur un ensemble de règles, combine les classements des deux approches (proactive et réactive) pour établir un classement final en cinq classes : priorité très élevée (classe 5), priorité élevée (classe 4), priorité intermédiaire (classe 3), priorité faible (classe 2), priorité très faible (classe 1). (Figure 10.24).
Des informations plus détaillées sur la méthodologie, son développement et son utilisation sont disponibles ici.
