1.1 Introduction
Ce chapitre décrit la crise mondiale des blessures dues aux accidents de la route et l’ importante de la prévention des décès et des blessures graves dans les accidents de la route. Il présente également les concepts clés de la sécurité routière qui renforcent les orientations de ce manuel pour la mise en œuvre d'interventions abordables et efficaces afin d'obtenir les résultats qui peuvent être requis dans un contexte donné. Le premier de ces concepts concerne l'objectif et la stratégie à long terme exigeants du Système Sûr, qui sont recommandés à tous les pays, quels que soient leur statut socio-économique et leur niveau de développement des infrastructures.
Deuxièmement, ce chapitre met en évidence l'approche planifiée et systématique nécessaire à une gestion efficace de la sécurité routière pour produire des résultats fructueux en matière de sécurité routière. Comme on le verra plus en détail dans les chapitres suivants, ces approches fournissent une base et un cadre de mise en œuvre pour les programmes d'investissement dans la sécurité routière et les projets de démonstration. Il convient de souligner que ces programmes et projets doivent viser des résultats ciblés à court et moyen terme, adaptés à la capacité d'apprentissage et de gestion du pays concerné. Il faut une intervention abordable et efficace qui réponde mieux aux besoins de tous les usagers de la route, y compris les plus vulnérables. En outre, le chapitre met l’accent sur l'importance d'aligner la sécurité routière sur d'autres objectifs sociétaux importants, étant donné le potentiel significatif de bénéfices partagés et afin de maximiser les investissements rentables.
LA SÉCURITÉ ROUTIÈRE, UN PROBLÈME MONDIAL
Le développement économique contribue de manière importante à l'augmentation de la mobilité et de la motorisation. On prévoit qu'au cours des 30 premières années du XXIe siècle, le nombre de véhicules à moteur produits dans le monde sera supérieur à celui des 100 premières années de la motorisation. La majorité de ces véhicules seront utilisés dans les pays à revenu faible et intermédiaire (PRFI). (Bliss, 2011).
Parallèlement à l'augmentation rapide des taux de motorisation dans les PRFI, les décès prématurés et les incapacités se produisent à une échelle catastrophique. La mortalité routière mondiale a augmenté 46 % entre 1990 et 2010 (Mathers et al., 2012). Plus de 90 % des décès dus aux accidents de la route sont survenus dans les PRFI et les victimes sont principalement des usagers de la route vulnérables, des hommes, et comprennent les citoyens les plus actifs sur le plan socio-économique (WHO, 2023). Outre l'ampleur de la misère humaine, la valeur socio-économique de la prévention de ces tragédies, souvent sous-estimée, est considérable (Jacobs et al., 2000; ITF, 2008; McInerney, 2012).
L'écart de performance en matière de sécurité routière entre les pays riches et les pays pauvres devrait encore se creuser. Selon les projections, d'ici 2030, environ 96 % des décès sur les routes du monde se produiront dans les PRFI et 4 % dans les pays à revenu élevé (PRE). (WHO, 2013b). Les prévisions des tendances de la mortalité mondiale indiquent que les accidents de la route sont la douzième cause de décès (WHO, 2023). Sans nouvelles initiatives, les prévisions indiquent que plus de 50 millions de décès et 500 millions de blessures graves sur les routes du monde peuvent être anticipés avec quelque certitude au cours des 50 premières années du XXIe siècle (Bhalla et al., 2008). À titre de comparaison, on estime à 1 % seulement la probabilité que, sur la même période, plus de 40 millions de personnes soient tuées dans des grandes guerres ou par une épidémie de grippe virulente, et environ 4 millions de personnes par des volcans ou des tsunamis. (Smil, 2008).
En réponse à ces développements, aux recommandations largement approuvées du Rapport mondial sur la prévention des traumatismes dus aux accidents de la circulation (Peden et al., 2004) et à d'autres initiatives, l'Assemblée Générale des Nations Unies a proclamé une Décennie d'Action pour la Sécurité Routière entre 2011 et 2020. Les progrès réalisés au cours de cette première Décennie d'action pour la sécurité routière ont jeté les bases d'une action accélérée pour les années à venir. Reconnaissant l'importance du problème et la nécessité d'agir, les gouvernements du monde entier ont déclaré à l'unanimité, par la résolution 74/299 de l'Assemblée générale des Nations unies, une deuxième Décennie d'Action pour la Sécurité Routière entre 2021 et 2030, avec l'objectif explicite de réduire d'au moins 50 % le nombre de morts et de blessés sur les routes au cours de cette période.
L'OMS et les commissions régionales des Nations Unies, en coopération avec d'autres partenaires dans le cadre de la collaboration des Nations Unies pour la Sécurité Routière, ont élaboré un Plan Mondial pour la Deuxième Décennie d'Action 2021-2030, qui a été publié en octobre 2021. Le Plan Mondial demande à tous les pays d'agir et invite les gouvernements et les partenaires à mettre en œuvre une approche intégrée du Système Sûr. (WHO, 2021).

En se concentrant sur la planification, la conception, l'exploitation et l'utilisation du réseau routier, ce manuel aborde trois des cinq piliers : Gestion de la sécurité routière (Pilier 1), Routes et mobilité plus sûres (Pilier 2) et Usagers de la route plus sûrs (Pilier 4). La vitesse plus sûre, qui fait partie intégrante de plusieurs des piliers du Plan Mondial, est également abordée. Voir le chapitre 4 pour plus de détails sur le Système Sûr.
LES BASES CONCEPTUELLES
Il est désormais largement admis que les pertes de santé graves dues aux accidents de la route sont en grande partie évitables et prévisibles - un problème d'origine humaine qui se prête à une analyse rationnelle et à une gestion efficace de la sécurité routière (Peden et al, 2004). Il est possible de mettre au point des systèmes de circulation routière qui réduisent la probabilité d'accidents graves ou mortels et qui minimisent la gravité des blessures en cas d'accident. Cette idée est étayée par un ensemble considérable de connaissances sur la manière de réduire de façon significative les impacts négatifs et coûteux de la motorisation. Dans les pays de l'Union Européenne, par exemple, le volume global du trafic a triplé entre 1970 et 2000, tandis que le nombre de personnes décédées par million d'habitants a diminué de 50 % (CEC, 2003). (Voir key overviews by Peden et al., 2004; ITF, 2008; Bliss & Breen, 2009).
Dans les années 90, deux évolutions majeures et complémentaires ont influencé les meilleures pratiques modernes en matière de sécurité routière et la manière de gérer plus efficacement pour obtenir de meilleurs résultats. La première a été menée par la Suède (Vision zéro) (Tingvall, 1995) et la deuxième par les Pays-Bas (Sécurité durable) (Koornstra et al., 1992), toutes deux représentant un changement de paradigme vers l'objectif ambitieux du Système Sûr (voir encadré 1.1).
ENCADRÉ 1.1 : L’OBJECTIF ET LA STRATÉGIE DU SYSTÈME SÛR
L'objectif à long terme du Système Sûr est l'élimination des décès et des blessures graves, soutenue dans l'intervalle par des objectifs périodiques et quantitatifs de réduction du nombre de victimes (ITF, 2008). L'objectif est de travailler à la conception d'un système qui minimise les décès et les blessures graves, tout en acceptant que des accidents avec des conséquences mineures puissent encore se produire. L'objectif éthique du Système Sûr a effectivement redéfini ce que l'on entend par « sécurité » dans les objectifs de gestion de la sécurité routière dans la pratique effective. (DaCoTa, 2012c).
La stratégie « Système Sûr » vise à garantir qu'en cas d'accident, les énergies d'impact restent inférieures au seuil susceptible de provoquer des décès ou des blessures graves. L'objectif est de prendre en compte les caractéristiques humaines connues en tenant compte des erreurs courantes et non intentionnelles, et de mieux tenir compte de la vulnérabilité du corps humain dans la planification, la conception, l'exploitation et l'utilisation du système de circulation routière, dans l'intérêt de tous les usagers de la route. L'intervention pour le Système Sûr concerne tous les éléments du système de circulation routière et leurs liens - l'infrastructure routière, les véhicules, le système médical d'urgence et les usagers de la route.
Source: Koornstra et al.,1992; Tingvall, 1995; ITF, 2008; DaCoTa, 2012c
L'approche du Système Sûr place la sécurité routière au cœur de la planification, de la conception et de l'exploitation du système de circulation routière. S'appuyant sur les meilleures approches précédentes, le Système Sûr répond mieux aux besoins des usagers de la route vulnérables et est particulièrement adapté aux besoins des PRFI. Comme indiqué au Chapitre 4 - L'approche du Système Sûr, l'établissement ferme d’un Système Sûr dans les travaux nationaux de sécurité routière nécessite un soutien politique fort et une garantie dans la législation. (ITF, 2008; Belin et al., 2012).
Plus récemment, la Banque mondiale, l'OCDE et l'Organisation internationale de normalisation (ISO) ont souligné qu'une gestion efficace de la sécurité routière est un processus systématique. La sécurité routière n'est le fruit du hasard, elle doit être produite. Les résultats en matière de sécurité obtenus par les pays actifs dans le domaine de la sécurité routière sont le fruit d'années d'investissements soutenus dans la gestion de la sécurité routière et d’une direction gouvernementale. Le système de gestion de la sécurité routière est la capacité productive à assurer les principales fonctions de gestion institutionnelle, qui produisent et permettent des interventions efficaces, à l'échelle du système, conçues pour produire des résultats - l'objectif et la stratégie du Système Sûr représentant l'approche la plus ambitieuse (FIT, 2008 ; Bliss & Breen, 2009 ; ISO, 2012). Ces concepts holistiques sont les fils conducteurs de ce manuel. Ils représentent la somme des connaissances multidisciplinaires efficaces en matière de sécurité routière et des pratiques réussies dans l'ensemble du système de circulation routière, qui ont été accumulées au fil des décennies.
Le chemin progressif et de plus en plus fructueux vers ces changements dans la pensée et la pratique de la sécurité routière est brièvement décrit dans l'Encadré 1.2 et est discuté plus en détail au Chapitre 2 - Principaux développements en matière de sécurité routière. Les PRFI sont invités à éviter la voie évolutive des pays industrialisés et à prendre des mesures clés pour passer directement à des approches du Système Sûr abordables et efficaces, comme indiqué dans la Phase 4. Il est également conseillé aux pays à revenu élevé, qui fixent actuellement des objectifs et des buts de plus en plus ambitieux en matière de sécurité routière, d'adopter cette approche (ITF, 2008 ; Bliss & Breen, 2009 ; PIARC, 2012 ; WHO, 2013a). Les implications pour la pratique actuelle dans une variété de contextes sont des thèmes récurrents dans ce manuel et des conseils spécifiques sont fournis sur les étapes appropriées pour différents contextes de sécurité routière.
ENCADRÉ 1.2 : L'ÉVOLUTION PROGRESSIVE DE LA PENSÉE ET DE LA PRATIQUE EN MATIÈRE DE GESTION DE LA SÉCURITÉ ROUTIÈRE
- Phase 1 : dans les années 50, la pensée et la pratique étaient axées sur l'intervention auprès des conducteurs et sur une approche consistant à « blâmer la victime ». La gestion de la sécurité se caractérisait par des unités dispersées, non coordonnées et insuffisamment dotées en ressources, qui remplissaient des fonctions isolées.
- Phase 2 : la pensée et la pratique des années 1960-1970 se sont concentrées sur des interventions à l'échelle du système englobant l'infrastructure, les véhicules et les utilisateurs dans les phases précédant l'accident, pendant l'accident et après l'accident, mais n'ont pas encore mis l'accent sur les responsabilités en matière de gestion institutionnelle.
- Phase 3 : la pensée et la pratique des années 1980-1990 se sont concentrées sur les interventions à l'échelle du système et les résultats ciblés, et ont vu les débuts de la direction institutionnelle et de la responsabilité pour la mise en œuvre de plans ciblés, ce qui a conduit à des réductions de plus en plus significatives des décès et des blessures graves au cours de ces décennies.
- Phase 4 : Depuis les années 90, la pensée et la pratique se sont concentrées sur des approches de plus en plus holistiques, connues sous le nom générique d'approche du Système Sûr, visant à éliminer à long terme les décès et les blessures graves. Cet objectif est soutenu par des cibles intermédiaires et des interventions à l'échelle du système (prévues dans les années 1960 et 1970, et de plus en plus utilisées dans les années 1980 et 1990). Celles-ci accordent une plus grande attention à l'erreur humaine et aux vulnérabilités, en mettant l'accent sur la gestion de la vitesse, l'amélioration de la protection des routes et des véhicules en cas d'accident, et les soins post-accident. Ils s'appuient sur le partage des responsabilités et sur une direction institutionnelle renforcée et responsable.
Source: OECD, 2008; GRSF, 2009.
Ce manuel propose aux administrations de passer d'une capacité institutionnelle faible à une capacité institutionnelle plus forte, en particulier en ce qui concerne l'agence gouvernementale principale, les accords de coordination et la gestion des résultats. L'objectif est de fournir des conseils de pointe pour aider toutes les personnes impliquées dans la planification, la conception, l'exploitation et l'utilisation du réseau routier en toute sécurité, conformément aux objectifs nationaux, régionaux et mondiaux.