7.3 IMPACTS DE L’ADOPTION DU SYSTÈME SÛR SUR LE RÔLE ET LES RESPONSABILITÉS DE L’AUTORITÉ ROUTIÈRE

DES ATTENTES DIFFÉRENTES

L’objectif du Chapitre 4 - Approche du Système Sûr, est que l'infrastructure et l'environnement routier favorisent la sécurité de tous les usagers de la route lorsqu'ils commettent des erreurs, et ce en tenant compte des seuils de tolérance humaine aux accidents.

Des politiques, des lignes directrices et des programmes doivent être développés pour garantir un progrès progressif vers un réseau incarnant les principes et les résultats du Système Sûr. L'adoption progressive des objectifs et des stratégies du Système Sûr dans la pratique opérationnelle des autorités routières a besoin d’un investissement considérable en connaissances, compétences, développement de politiques et de lignes directrices, tant de la part de l'autorité routière en tant qu'entité que des employés individuels.

De plus en plus d'autorités routières reconnaissent les implications majeures que l'adoption d'un Système Sûr comporte. Le rôle de l'autorité routière est de fournir un réseau sûr, ce qui nécessitera la réduction progressive des compromis traditionnels qui ont historiquement été faits entre la sécurité d'une part, et la mobilité et l'accès d'autre part. Plutôt que des compromis, des résultats « gagnant-gagnant » sont nécessaires et doivent être planifiés sur le long terme.

Le soutien à l'investissement dans la sécurité des infrastructures afin d'atteindre des conditions de risque de collision non fatale sur l'ensemble du réseau (dans l'esprit de l'approche du Système Sûr) deviendra une priorité. Cela devrait entraîner une augmentation substantielle de l'influence des infrastructures axées sur la sécurité par rapport à d'autres programmes de sécurité routière

Exemple : Une comparaison entre l'approche du Système de Sécurité/Vision Zéro et une approche traditionnelle de la sécurité routière, telle que présentée dans le Tableau 7.1, est instructive.

TABLEAU 7.1 : LE CHANGEMENT DE PARADIGME VERS LE SYSTÈME SÛR (SOURCE : D’APRES BELIN ET AL., 2012).

Approche traditionnelle        

Approche Vision Zéro (Système Sûr)

Accidents 

Blessures 

Comportement individuel de l’usager 

Le système doit être conçu/reconçu selon la capacité humaine et la tolérance du corps humain aux forces mises en jeu lors de l’accident (en d’autres termes, les limites auxquelles le corps humain peut survivre)

L’usager porte la responsabilité principale 

Le concepteur du système porte la responsabilité principale

Changer le comportement individuel de l’usager

Changer l’environnement (environnement routier, véhicules, environnement social)

Réduction du risque

Éliminer les morts et les blessures graves 

UNE NOUVELLE ATTENTION AU SYSTÈME SÛR DANS LES PROGRAMMES ET LES PROJETS

Les autorités routières (et toutes les agences de sécurité routière) doivent reconnaître que le cadre permettant la compréhension et la gestion du risque doit être profondément repensé. Dans de nombreux PRFI, la connaissance du nouveau cadre et des nouvelles responsabilités pour déterminer les risques d’accident et les traiter est inadéquate.

La nouvelle approche retenue par les autorités routières de la Slovénie (Zajc, 2014), présentée dans l’Encadré 7.2, illustre ainsi la reconnaissance par les autorités du besoin de réaliser cet ajustement majeur.

ENCADRÉ 7.2 : L’EXPÉRIENCE DE LA SLOVÉNIE EN GESTION DE LA SÉCURITÉ ROUTIÈRE

Antérieurement : Le conducteur doit s’ajuster au système routier. Le conducteur était traité comme un potentiel délinquant.

Actuellement : Le système routier doit s’accommoder au conducteur

Le conducteur est à considérer comme une victime parce qu’il ne possède qu’une capacité limitée à traiter toute l’information provenant de la circulation. Le système doit donc être simple afin que le conducteur commette moins d’erreurs. Si le conducteur commet des erreurs, le système doit lui pardonner et réduire les conséquences.

Source: Zajc, 2014

D’un autre côté, l’Encadré 7.3 présente un exemple illustrant le manque de compréhension adéquate du risque d’accident et de réponse appropriée d’une autorité routière.

ENCADRÉ 7.3 : AUTORITÉ ROUTIÈRE DU SUD-EST DE L’EUROPE : UNE RECONNAISSANCE INSUFFISANTE DU RISQUE

Des discussions dans le cadre d’un examen des capacités en matière de sécurité routière ont eu lieu en 2008 avec l’autorité nationale des routes d’un pays d’Europe du Sud-Est afin de comprendre, entre autres, pourquoi le marquage axial continu sur une route nationale particulièrement montagneuse, avec une forte proportion de trafic de poids lourds, ne couvrait qu’environ 50 % de la longueur requise selon les normes internationales en matière de distance de visibilité pour les dépassements. La réponse de l’autorité a été que « si le marquage axial continu était installé sur toute la longueur nécessaire pour respecter les normes de sécurité, cela limiterait fortement les possibilités de dépassement ». Ce compromis entre sécurité et commodité (ou « efficacité », selon certains) n’était pas transparent. Il n’y avait eu aucun débat public sur le risque accru d’accidents graves par rapport à des temps de trajet plus courts. C’est un exemple malheureusement trop fréquent de situations dans lesquelles la sécurité n’est pas pleinement soutenue, ou bien est discrètement sacrifiée au profit d’autres objectifs.

L’approche adoptée en Argentine pour prendre en compte le Système Sûr est expliquée dans l’étude de cas suivant.

ÉTUDE DE CAS – Argentine : Application de l’approche du Système Sûr par la création d’une agence

En 2008, le gouvernement de l'Argentine a créé l'Agence nationale de sécurité routière (ANSV) envisagée comme étant l'agence responsable de la circulation et de la politique de sécurité routière. Le défi pour la nouvelle ANSV était d'exercer ses pouvoirs et d'accomplir sa mission à l’intérieur d’un cadre fédéral qui prévoyait une autonomie significative des gouvernements provinciaux et locaux. Le défi de l'ANSV incluait un système de registre décentralisé pour les permis de conduire, sans enregistrements unifiés des infractions au code de la route et aucune donnée fiable sur les accidents de la route.

Le rôle de l'ANSV a été institutionnalisé par sa mise en place en tant qu'organisme décentralisé avec une autonomie financière au sein du ministère de l'Intérieur et la « responsabilité » de l'ANSV à l’égard de la sécurité routière a été légitimée par des partenariats avec les gouvernements provinciaux et locaux, les organismes non gouvernementaux et le secteur privé. Pour en savoir plus

POUVOIRS DE GESTION DE L’UTILISATION DES TERRES ET DES IMPACTS DU DÉVELOPPEMENT

Mettre en œuvre les principes du Système Sûr dans les nouveaux projets routiers majeurs et, plus particulièrement, améliorer avec le temps le niveau de sécurité des routes existantes impliquera, entre autres mesures, la mise en place de contrôles adéquats des accès le long des routes et des activités en bord de route. Les pouvoirs et les actions gouvernementales nécessaires pour réglementer l’utilisation des terrains adjacents et les activités permises sur les abords des routes existantes seront indispensables.

Autorités routières et autorités locales : Il sera nécessaire d’établir des processus entre l’autorité routière et les autorités locales pour évaluer l’impact sur la sécurité de tout développement proposé sur des terrains correspondants. Les problèmes potentiels de sécurité doivent être identifiés et une gamme de réponses développée en tant que possibles conditions auxdits développements afin de minimiser tout dommage futur. L’autorité ou le pouvoir d’exécuter ces processus doivent être inclus dans la législation des autorités locales concernant la planification de l’utilisation des sols.

Réglementation en faveur : Des lois amenant un plus grand respect par le public des décisions prises par l’autorité routière ou l’autorité locale sur ces questions seront nécessaires, et devront être appliquées. Il faudra aussi considérer l’introduction d’incitations pour encourager les autorités locales à adhérer aux politiques de planification de l’utilisation des sols. Il est d’extrême importance que les parties prenantes comprennent et acceptent le besoin de législation pour contrôler ces développements, et que les autorités :

  • aient voix au chapitre (prévue dans la législation sur la planification de l’utilisation des sols) dans la réponse aux impacts probables des développements proposés sur la sécurité de l’exploitation de la route ;
  • aient la capacité d’établir des conditions appropriées d’accès le long des routes, qui seront obligatoires pour les développeurs et respectées par les autorités locales agissant en tant qu’autorité responsable ;
  • puissent être assurées que les contrôles des développements riverains soient adéquatement appliqués ;
  • puissent être assurées que toute activité non autorisée dans les emprises routières (telle que colporteurs ou vendeurs ambulants) fera l’objet d’une application de la loi rapide et efficace par les autorités locales ;
  • établissent un groupe conjoint entre l’autorité routière et les autorités locales pour la surveillance et l’application pour chaque zone de juridiction.

L’Encadré 7.4 présente une étude de cas qui couvre certaines questions très pertinentes de sécurité dans de nombreux PRFI pour les villages-rue. Ces situations communes reflètent les pouvoirs inadéquats de l’administration publique (ou leur manque d’application), ce qui conduit à des environnements routiers dangereux, en particulier pour les usagers vulnérables.

ENCADRÉ 7.4 : LES VILLAGES-RUE

L’un des facteurs principaux de décès sur la route dans les PRFI est la présence d’usagers vulnérables sur les routes bordées d’une urbanisation linéaire. Dans ces cas, le manque de contrôle des accès et des stratégies pauvrement conçues pour le développement de l’infrastructure routière (et pour le développement de l’urbanisation) a pour résultat un mélange de fonctions avec des usages résidentiels et commerciaux le long des routes artérielles du pays supportant une forte circulation de véhicules lourds et rapides. Ces « routes cercueils » sont des exemples bien connus des problèmes posés par l’urbanisation linéaire le long de routes fréquentées, et se rencontrent dans de nombreux PRFI.

Les usagers vulnérables de la route ne sont pas les seuls à courir un grand risque. La présence de demi-tours mal conçus ou de restrictions physiques inadéquates aux demi-tours le long des routes des PRFI sont une cause majeure d’accidents graves, en particulier parmi les passagers des minibus de transport public (par exemple en Egypte). Ces ouvertures pour les demi-tours et les manœuvres permises représentent un grave problème de sécurité routière. Elles constituent une caractéristique profondément ancrée dans les PRFI et requièrent action de la part des autorités routières pour parvenir à une conception adéquate des projets par les autorités locales pour une gestion sécuritaire de l’emprise routière.

Des mesures fondées sur les bonnes pratiques dans les PRE comprennent :

  • des stratégies de planification de l’utilisation des sols et l’urbanisation pour réglementer et prévenir une telle urbanisation le long des routes fréquentées ;
  • le pouvoir et les outils juridiques pour que l’administration routière fasse appliquer le contrôle des accès le long des routes interurbaines et des autoroutes ;
  • des outils de traitement de l’infrastructure et un financement pour remédier aux situations dangereuses existantes, en particulier pour les usagers vulnérables de la route.

Source: Vollpracht., 2010

L’urbanisation linéaire le long des routes crée des situations dangereuses, où les piétons et les véhicules entrent et sortent de la route depuis chaque entrée des propriétés riveraines (en continu). Les principes du Système Sûr indiquent que chaque accès à une propriété donnant sur la route fonctionne comme une intersection mineure, avec la possibilité de collisions à angle droit entre des véhicules entrant ou sortant de la chaussée et des véhicules se déplaçant le long de la route.

Dans de nombreux pays, ces situations compromettent les efforts pour élaborer un système cohérent de classification routière s’appliquant à des tronçons de route. L’Encadré 7.5 met en lumière des solutions pour traiter de l’urbanisation linéaire.

ENCADRÉ 7.5 : SOLUTIONS À L’URBANISATION LINÉAIRE – REPUBLIKA SRPSKA, BOSNIE

L’urbanisation linéaire est fréquente en Republika Srpska (et dans la plupart des pays des Balkans) et pose un sérieux problème, en particulier pour les usagers vulnérables de la route.

Une stratégie à deux composants a été proposée pour traiter ces risques :

  1. Un système de voie express avec une route à 2+1 voies contournant les villages et les villes, coûte deux fois moins cher qu’une autoroute et est suffisant pour des volumes de circulation jusqu’à 20 000 véhicules par jour. Ainsi des routes artérielles principales et sûres pour la Republika Srpska peuvent être construites beaucoup plus tôt que le réseau planifié d’autoroutes. Elles peuvent être élargies ultérieurement, dès que la circulation exigera une seconde voie.
  2. Adapter les routes principales et régionales existantes traversant une urbanisation linéaire à des fonctions d’usages mixtes par des mesures de modération de la circulation et en améliorant la sécurité des usagers non-motorisés.

Source: Kostic et al., 2013

Comme décrit plus haut, les activités non autorisées dans l’emprise routière, et en particulier sur les routes à fort trafic, doivent être réglementées et gérées pour minimiser les impacts négatifs sur la sécurité des usagers. Dans de nombreux PRFI, ceci est une faiblesse considérable, ce qui permet aux commerçants et vendeurs d’occuper l’emprise routière et d’y installer des stands et des marchandises. Dans les zones urbaines, les vendeurs ambulants installent leurs marchandises sur les accès piétonniers, forçant les piétons à marcher sur la route. Souvent, cet usage non autorisé n’est que peu géré par le gouvernement, les autorités et la police locale. Attirer l’attention et obtenir le soutien du gouvernement pour changer cette situation représente un défi majeur pour les autorités routières. Il existe cependant des exemples de succès dans les PRFI, où les autorités locales ont négocié la réinstallation des vendeurs ambulants dans des espaces de marché public, loin des routes principales, pour en améliorer la sécurité

LA NÉCESSITÉ DE CLASSIFIER LES ROUTES

L’adoption d’une classification des routes du réseau prenant de plus en plus en considération la sécurité et qui reflète mieux la fonction, la limite de vitesse, la configuration et la conception de la route est une aspiration importante. Comme signalé plus haut, l’urbanisation linéaire est une caractéristique de la plupart des PRFI et tend à contrecarrer cette approche de classification. Pour le Système Sûr, il est important de tendre vers l’objectif à long terme de séparer les fonctions d’usage des routes et d’améliorer la sécurité dans l’exploitation routière. Une planification adéquate peut guider les futurs investissements routiers (par exemple la construction de routes de contournement) et l’amélioration des routes existantes pour « sécuriser » leur accès ou leur fonction de route principale.

Comme indiqué à la section 4.6 - Système Sûr – Principes scientifiques de sécurité et leur application), l’approche sécurité durable des Pays-Bas insiste beaucoup sur un système robuste de classification des routes. La fonctionnalité de la route est intégrée dans l’approche, et suggère que chaque route ne devrait avoir qu’une seule fonction, que ce soit de route de transit, de route distributrice ou de route secondaire. Ce concept a été bien compris durant de nombreuses années, mais plus récemment il a été de plus en plus reconnu que davantage devait être fait pour assurer que cette distinction est faite. Ceci inclut l’établissement d’un système approprié de classification s’appliquant à toutes les routes et de s’assurer que la conception de la route et sa compréhension par les usagers soit cohérentes avec la fonction de la route. La section 8.2., Concevoir des infrastructures pour encourager les comportements sûrs, fournit plus d’information sur cette question, y compris un examen du concept de routes « lisibles » pour aider l’usager à comprendre cette classification fonctionnelle.

Cet accent mis sur une fonction claire des routes et une gestion appropriée de la vitesse est directement lié au cadre Roads-for-Life (R4L) défini par la Banque mondiale (Turner et al., 2024). Le cadre R4L offre un outil pratique pour atteindre cet alignement en fournissant une méthodologie pour définir des limites de vitesse sûres basées sur des preuves et des meilleures pratiques. Contrairement aux méthodes traditionnelles, le cadre R4L prend en compte les usagers vulnérables de la route (UV) et équilibre les exigences concurrentes de la mobilité et des espaces (Vicroads, 2019), en utilisant une structure de classification routière pratique pour déterminer les limites de vitesse appropriées et promouvoir l'auto-application à travers la conception de l'infrastructure. Ainsi, le cadre R4L répond directement à la nécessité d'un système de classification routière plus sensible à la sécurité, comme le préconise l'approche de la Sécurité durable, en fournissant un cadre concret pour sa mise en œuvre.

Les principales différences entre de nombreuses approches traditionnelles de classification fonctionnelle des routes et le cadre R4L sont résumées dans le Tableau 7.2.

TABLEAU 7.2 : CLASSIFICATION ROUTIÈRE FONCTIONELLE TRADITIONNELLE VS. CADRE R4L (SOURCE : TURNER ET AL., 2024).

APPROCHES DE CLASSIFICATION FONCTIONNELLE TRADITIONNELLE…

LE CADRE ROADS-FOR-LIFE…

…définissent la fonction d’une route sur la base de sa hiérarchie et établissent des limites basées sur le flux de trafic motorisé avec une considération limitée pour les usagers vulnérables de la route et pour le contexte d’utilisation du sol.

…classe la route ou la section de route en fonction de la vulnérabilité de tous les usagers, fixe les limites de vitesse basées sur les vitesses d’impact non mortelles du Système Sûr et considère que les routes doivent permettre la circulation des personnes et des biens, tout en étant des lieux attractifs pour les usagers vulnérables de la route.

…classent les routes et déterminent les limites de vitesse et la conception des routes pour l'ensemble du segment routier, indépendamment des besoins changeants des usagers de la route et du contexte (« Une autoroute est toujours une autoroute »).

…varie la classification de la route et la limite de vitesse pour chaque section de route en fonction du contexte, c'est-à-dire de l'utilisation de la route à cet endroit. Elle reconnaît que, puisque les conditions et les besoins des usagers de la route peuvent changer le long d'une même route, sa classification et sa limite de vitesse devraient changer aussi.

…conçoivent des routes pour les usagers motorisés les plus typiques ou prédominants.

…conçoit des routes et sections de route pour les usagers les plus vulnérables, normalement des piétons et/ou des cyclistes.

…réagissent aux accidents liés à la vitesse et adoptent une approche progressive pour réduire le problème.

…cible et traite de manière proactive les risques liés à la vitesse en utilisant une approche systématique pour construire un réseau routier sûr.