2.3 LE CHANGEMENT DE PARADIGME VERS LE SYSTÈME SÛR
La réflexion et la pratique en matière de sécurité routière ont évolué progressivement depuis le milieu du siècle dernier. Comme l'indique brièvement le Chapitre 1 - Ampleur du problème de la sécurité routière, une approche de plus en plus ambitieuse a été identifiée, qui a abouti à l'objectif du Système Sûr visant à éliminer le nombre de décédés et de blessés graves dans les accidents de la route (Peden et al., 2004; ITF, 2008; Bliss & Breen, 2009).
Dans les années 1950 et 1960, de nombreux pays de l'OCDE ont connu une motorisation rapide, qui s'est accompagnée d'une augmentation du nombre de décédés et de blessés graves sur les routes. À l'époque, les politiques mettaient l'accent sur le conducteur. Des règles législatives et des sanctions ont été établies, soutenues par l'information et la publicité, et l'on s'attendait à des changements de comportement ultérieurs. Comme l'expérience l'a montré, on a cru à tort que, puisque l'erreur humaine contribuait le plus à la cause des accidents, l'éducation et la formation des usagers de la route à un meilleur comportement pouvaient résoudre efficacement le problème de la sécurité routière.
APPROCHE SYSTÉMIQUE DE L'INTERVENTION
Au cours des années 1970 et 1980, une perspective systémique des interventions s'est manifestée. William Haddon, un épidémiologiste américain, a mis au point un cadre systématique pour la sécurité routière basé sur un modèle de maladie comprenant l'infrastructure, les véhicules et les usagers dans les phases avant, pendant et après l'accident (Haddon, 1968). L'élément central de cette approche est la compréhension du fait que l'échange d'énergie cinétique lors d'un accident entraîne des blessures, qui doivent être gérées de manière que les seuils de tolérance humaine aux blessures ne soient pas dépassés. Cette approche a permis d'élargir le champ d'intervention et de mettre en évidence la nécessité d'une intervention à l'échelle du système.
INTERVENTIONS À L'ÉCHELLE DU SYSTÈME, RÉSULTATS CIBLÉS ET DIRECTION INSTITUTIONNELLE
Au début des années 1990, les pays ayant obtenu de bons résultats avaient progressé vers la mise en œuvre de plans d'action assortis d'objectifs quantitatifs visant à réduire le nombre de décès et, parfois, de blessures graves (OECD, 1994; ITF, 2008; PIARC, 2012). Les réductions obtenues dans différents groupes de pays de l'UE sont présentées dans la Figure 2.2.

Entre 2012 et 2022, l'UE 27 dans son ensemble a réduit de 22% le nombre de victimes de la route. En 2022, 20 678 personnes sont décédées sur les routes de l'UE. Au cours de la dernière décennie, le nombre de décès a été inférieur de 39 554 à ce qu'il aurait été si l'on était resté au même niveau qu'en 2012 (ETSC, 2023).
Dans de nombreux pays, la réduction du nombre de victimes a été obtenue grâce à des interventions à l'échelle du système. En règle générale, quatre grandes catégories d'interventions sont à l'origine de la majorité des gains de sécurité réalisés. Il s'agit de
- Application des comportements clés en matière de sécurité routière (par exemple, vitesse, alcool, ceintures de sécurité et dispositifs de retenue pour enfants, casques, fatigue).
- Ingénierie de la sécurité des environnements routiers.
- Amélioration de la sécurité des véhicules.
- Amélioration du système médical d'urgence et des soins aux traumatismes routiers.
OBJECTIF ET STRATÉGIE DU SYSTÈME SÛR ET RESPONSABILITÉ PARTAGÉE
À la fin des années 1990, deux des pays les plus performants au monde ont déterminé que le maintien d'une amélioration continue des résultats nécessiterait une approche plus ambitieuse, plus complète et plus durable que celle qui avait été adoptée dans la pratique précédente. Les stratégies néerlandaise « Sécurité durable » et suédoise « Vision zéro » visaient à rendre le système routier intrinsèquement sûr (Koornstra et al., 1992; Tingvall, 1995; Wegman & Elsenaar, 1997).
Dans les approches de la Sécurité durable et de la Vision zéro, un nouvel accent est mis sur la gestion de l'échange d'énergie cinétique lors d'un accident afin de s'assurer que les seuils de tolérance humaine aux blessures ne sont pas dépassés. Les décédés et les blessés graves de la route ne sont plus considérés comme le prix à payer pour améliorer la mobilité (Tingvall & Haworth, 1999).
L'approche du Système Sûr va plus loin que les approches traditionnelles qui se concentraient sur des véhicules plus sûrs, des routes plus sûres et des usagers plus sûrs. Cette nouvelle approche s'intéresse désormais également aux interfaces critiques entre ces éléments. Les éléments « techniques » du système, c'est-à-dire les véhicules et les routes, peuvent être conçus pour être compatibles avec l'élément humain, en reconnaissant que, même si des accidents peuvent se produire, le système dans son ensemble peut être conçu pour minimiser les dommages (Tingvall, 1995; Ydenius, 2010). Cette responsabilité partagée pour une meilleure conception est un élément clé de l'approche du Système Sûr.
Dans un système de circulation routière durablement sûr, la conception de l'infrastructure réduit intrinsèquement et radicalement le risque d'accident. En cas d'accident, le processus qui détermine la gravité de l'accident est conditionné de telle sorte que les blessures graves sont pratiquement exclues.
Towards sustainably safe road traffic (Koornstra et al., 1992)
ENCADRÉ 2.8 : PERTINENCE DE L'APPROCHE DU SYSTÈME SÛR POUR LES prfi
L’approche du Système Sûr :
- Aborde tous les éléments du système de circulation routière de manière intégrée.
- Met l'accent sur la réduction des décès et des blessures à long terme plutôt que sur la prévention des accidents
- Remettre en question le point de vue fataliste appelé à juste titre « le scandale de la tolérance » (Allsop, 2002), selon lequel les accidents de la route sont le prix à payer pour parvenir à la mobilité et au développement économique. Pour ce faire, il faut fixer un objectif sociétal avec des cibles progressives afin d'éliminer les décès et les blessures graves sur les routes à long terme.
- Accentue la responsabilité partagée et responsable des concepteurs et des usagers du réseau routier dans l'obtention de résultats en matière de sécurité routière.
- Aborde les limites des capacités humaines dans l'établissement de normes et de règles de sécurité et les régimes de conformité connexes pour la planification, la conception et l'utilisation du réseau routier ; les conditions d'entrée et de sortie des véhicules et des usagers de la route sur le réseau routier ; et la récupération et la réhabilitation des victimes d'accidents sur le réseau routier.
- Exige l'équité dans la prise en compte des besoins de sécurité des usagers motorisés et non motorisés
- S'aligne bien sur les objectifs du développement durable et présente des opportunités pour obtenir des bénéfices communs avec d'autres objectifs sociétaux.
- Nécessite le renforcement de tous les éléments du système de gestion de la sécurité routière, en particulier les fonctions de gestion institutionnelle, pour obtenir un succès durable.
Source: Bliss & Breen, 2012; ITF, 2008
Une discussion approfondie de l'approche du Système Sûr, de sa base scientifique et de son champ d'application est présentée au Chapitre 4 - Approche du Système Sûr. Une introduction aux étapes de mise en œuvre des projets Système Sûr dans les pays à revenu faible est présentée dans les Fonctions de gestion institutionnelle à la section 3.2. Le cadre et outils du système de gestion sont discutées plus en détail au Chapitre 4 - Approche du Système Sûr et au Chapitre 6 - Objectifs et plans stratégiques.